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dimanche 23 septembre 2018

Paul GREVEILLAC « Maîtres et esclaves »


« La révolution n’est pas une visite de courtoisie ». Certes. Tian Kewei naît en 1950 dans la toute nouvelle République Populaire de Chine emmenée par MAO Zedong. Derrière l’image quelque peu idyllique, un pays en totale déconfiture, une tyrannie communiste rendant exsangue toute une nation. Kewei, fils de paysan artiste peintre, transporte de la merde, des excréments, des matières fécales dès l’âge de 7 ans. Il va ainsi faire quelques petits boulots peu émancipateurs, peu égayants avant l’âge adulte.

Ce roman très documenté va balayer la période de la Chine politique, sociale, sociétale, de 1950 et l’avènement de cette « République Populaire » jusqu’aux évènements de la place Tian Anmen en 1989, avec postface allant jusqu’à nos jours. L’auteur parle d’une Chine repliée sur elle-même, archaïque, désirant imposer un nouveau communisme, forcément totalitaire. S’ensuit la récession, les assassinats, les goulags locaux, les intellectuels et artistes muselés, surveillés, emprisonnés, tués. Les anecdotes sont nombreuses, les faits divers pléthoriques. Devant le manque de matière première, d’argent, etc., les journées de travail sont parfois fixées à 5 heures par jour. Famine, nombreux morts.

La délation bat son plein, il est déconseillé de s’éloigner de la ligne de conduite étatique. Pour Kewei, le personnage central de cette grande fresque, l’heure des soucis commence avec la mort de son père Yongmin, rétif à la politique de MAO. Quant à la Chine de MAO elle ne veut voir qu’une tête et tient à contrôler tous les milieux possiblement incendiaires. JIANG Qing, femme de MAO, règne par exemple sur l’art. Les femmes doivent toutes porter un uniforme gris-bleu. Pas de différenciation entre les êtres, tout le monde doit ressembler au voisin. MAO est partout, son visage en tous lieux publics, le culte de la personnalité bat son plein, la mégalomanie a de bons restes. Pour les dissidents, c’est bien simple : on coupe des langues comme de vulgaires ongles, on déporte, on fait taire, tous les moyens sont bons. Culturellement, c’est le monopole du fameux « Petit livre rouge » érigé en Bible Prolétarienne.

Kewei, ce fils de paysan peintre, devenant peintre à son tour malgré les réticences de sa mère, peintre censuré qui, une fois possédant du poids et un poste au sein du Parti, censurera les œuvres. Monde absurde ou la liberté individuelle semble l’ennemi à abattre.

Mais voilà, MAO n’est pas éternel. Le Grand Timonier, investigateur de la Révolution Culturelle, casse sa pipe en 1976. Il était temps. Il avait demandé la crémation, elle lui est refusée par les autorités. Le pays va devoir se reconstruire, entre nostalgie et regard vers le futur, l’international : « Mao, c’était ce vieux grand-père auquel, par déférence, on ne s’oppose pas. C’était ce sage du passé, qui n’entend plus rien au monde, et qu’on n’ose pas contredire. C’était cet être qu’on a aimé, mais qu’on ne comprend plus. Alors on le craint. Alors on le hait. Le peuple chinois avait choisi de mettre sa liberté en viager. Le peuple chinois attendait la mort du Maître. Et ce ne fut que lorsque passa dans l’autre monde, s’il en est un, celui qui fut, à proprement parler, le dernier empereur de Chine, que la première révolution véritable put éclater. Que l’acte de naissance authentique de la Nouvelle Chine put être contresigné ».  Les capitaines de navire se nommeront HUA Guofeng, puis TENG Xiaoping. Mais c’est une autre histoire.

Ce roman est résolument politique et ne se contente pas d’observer. Il est dense, parfois complexe pour les novices de l’histoire chinoise contemporaine, il faut savoir s’accrocher aux wagons. Le travail fourni par l’auteur est assez exceptionnel car empreint de force détails, précis, cohérent. Vous l’aurez compris, les personnages fictifs sont là pour faire prendre forme et donner du poids à cette Chine du XXe siècle au destin singulier, un totalitarisme à la fois « classique » et pourtant voulant se démarquer des autres politiques autoritaires internationales. Roman sans temps mort, sans pathos, sans voyeurisme, une page d’histoire très bien restituée. L’auteur avait écrit il y a deux ans un roman sur la Russie post Stalinienne, je ne serais pas étonné d’aller y faire un tour à l’occasion (un hiver, bien sûr !). Quant au présent ouvrage, il est paru en 2018 dans la collection Blanche de chez Gallimard.

(Warren Bismuth)

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