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vendredi 27 novembre 2020

Henrik REHR & Chantal VAN DEN HEUVEL « Léon & Sofia Tolstoï »

 


Pour cette ambitieuse biographie du grand Léon TOLSTOÏ (1828-1910), les auteurs se sont centrés sur la relation à géométrie variable entre l’écrivain et sa femme Sofia. Car c’est aussi à travers Sofia que TOLTOÏ put devenir ce monstre sacré. C’est notamment elle qui relut, corrigea et recopia les grands romans de TOLSTOÏ.

BD éblouissante revenant sur la jeunesse tumultueuse et arrogante de l’écrivain, les femmes, les fêtes, l’alcool dans le monde aristocratique russe. Il devient propriétaire terrien et n’est guère tendre avec ses serfs. La relation avec Sofia devient sérieuse, mais c’est pourtant sa sœur que le comte visait.

Sur proposition de son frère, TOLSTOÏ va participer à la guerre dans le Caucase puis en Crimée. Parallèlement il écrit ses souvenirs de jeunesse. Il revient de la guerre métamorphosé, se lie d’amitié avec TOURGUENIEV bien que leur relation soit volcanique. TOLSTOÏ s’intéresse à la doctrine anarchiste de PROUDHON tout en se retirant dans sa résidence bourgeoise de Iasnaïa Poliana. C’est là que ses relations avec Sofia se compliquent.

TOLSTOÏ fut un homme de l’excès, y compris dans son amour pour Sofia. Excessif également dans sa croyance chrétienne lorsqu’il a une cinquantaine d’années, foi d’où il finira par tirer une « nouvelle religion » : le tolstoïsme. Il se met à rédiger ceux qui deviendront ses futurs chefs d’œuvre. C’est Sofia qui porte son travail, par ses appréciations, ses corrections, ses encouragements.

Cependant TOLSTOÏ se détache de plus en plus de sa femme. Il souhaite libérer le peuple, le pousser coûte que coûte vers l’indépendance et l’émancipation, qui passent par la foi, encore et toujours. À sa demande, son œuvre tombe dans le domaine public, Sofia est furieuse, d’autant qu’ils ont 13 enfants à nourrir. Sofia qui elle-même commence à regarder ailleurs, jusqu’à sa rencontre avec un pianiste, alors que son Léon de mari s’entiche d’un certain TCHERTKHOV, qui deviendra son maître à penser et aura une forte emprise sur TOLSTOÏ.

Dans cette BD lumineuse, tous les grands traits de la vie de TOLSTOÏ sont abordés, mais ceux de Sofia également : son incompréhension aux décisions de son mari, son abnégation devant leurs enfants, mais aussi son âme de femme qui se révolte devant le caractère parfois misogyne de l’écrivain, un TOLSTOÏ par ailleurs fort jaloux qui écrit « La sonate à Kreutzer » en référence à un professeur de piano de sa femme, professeur que TOLSTOÏ imagine dans un bien autre rôle.

C’est cette « Sonate à Kreutzer » qui met le feu aux poudres dans le couple. Sofia prend les armes de son mari et lui répond par un livre. Ce sera « À qui la faute ? » (j’y reviendrai très prochainement). Dès lors, la guerre est déclarée. Les auteurs de cette BD n’oublient pas la fin pathétique, à la fois du couple et bien sûr la mort de TOLSTOÏ, s’éteignant en 1910 dans une gare perdue, à 82 ans, alors qu’il fuit définitivement sa femme.

La vie de TOLSTOÏ fut un ensemble de rebondissements, de nouvelles pensées, de chefs d’œuvre littéraires. Mais il ne faut jamais oublier l’intime. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celui du grand écrivain fut d’une rare complexité. Cette BD donne fort justement la parole à Sofia, cette sorte d’oubliée, de sacrifiée de l’histoire, une femme en retrait qui pourtant finit par s’affirmer. Sa figure rythme la présente biographie.

Dans une mise en page classique et sobre, les dessins font l’effet d’une gifle. Une couleur principale de fond qui change selon la période évoquée, mais surtout une succession de vignettes détaillées qui retranscrivent judicieusement l’ambiance de la Russie profonde de la fin du XIXe siècle. Les personnages sont expressifs et le rythme général assez rapide. Une BD qui, pas si curieusement que cela, donne envie de se repencher sur l’œuvre de TOLSTOÏ, mais aussi sur ce « À qui la faute ? » intrigant, écrit de la main de Sofia. C’est sorti en 2020 chez Futuropolis, pensez à vos cadeaux de Noël (pub gratuite)…

http://www.futuropolis.fr/

(Warren Bismuth)

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