Eté 2003 : ça chauffe en France (et pas
qu’ici d’ailleurs), la canicule commence à faire des ravages. Lily est une
femme taxi au passé que l’on découvrira par petites touches tout au long de
cette escapade moite et plombante. Lily doit conduire un couple de paysans
âgés, vivant en pleine Loire rurale, Henri et Marie, à Cannes pour un bref
aller-retour dont elle ignore tout. Henri est atteint d’un cancer, Marie est
cette femme infatigable qui veille sur lui, sorte d’ange gardien. Tous deux ont
un fils un peu désinvolte, Bernard, affublé d’une maîtresse, Carine.
Le parcours de Lily ne semble pas avoir été
de toute repos. Elle a fait sa première fugue dès 1977, c’est dire. Père
violent, attiré par les jeunes filles, dont l'une suicidée. Pas de chagrin ni larmes à sa
mort (on pense à « L’étranger » d’Albert CAMUS). Lily a bien sûr
connu l’amour. Son plus récent, Nicolas, est parti, sombre affaire qui est en
filigrane de ce roman très noir à l’orée du polar. Polar car oui, autant vous
le dévoiler de suite, il y a eu un mort dans cette affaire, une morte plus
exactement. Concernant le présent, le père de Nicolas est au plus mal,
hospitalisé… Avec Nicolas, le plaisir sexuel de Lily était situé du côté des
jeux SM, de l’érotisation du rapport de force, pour rigoler, démultiplier le
plaisir. C’était avant la naissance de Rose, leur deuxième fille.
Avant Rose, il y eut Jessica. Elle a grandi
la Jessica, elle est attirée par Sèb, artiste mégalo un brin mythomane et pour
tout dire insupportable, à 21 ans il croit tout savoir et écrase le monde de
son mépris et de sa supériorité. Au milieu de cette galerie de personnages peu
sympathiques, il semblerait bien que Lily ne soit pas étrangère à la morte évoquée plus haut…
Un roman du contraste : noir et glacial
en pleine canicule, à la fois road-book et livre décrivant l’attachement à une
terre, il est polar sans l’être puisque le meurtre ne tient qu’une place minime
et l’enquête est inexistante. Le principal est ailleurs : car il est le roman
d’un passé révolu, le monde paysan archaïque représenté par Henri et Marie, et
celui d’une nouvelle ère en passe de s’imposer : celle du réchauffement
climatique, cette ère personnifiée par les figures les plus jeunes de cette
histoire. Quant à Lily, c’est l’entre-deux, c’est-à-dire celle qui se situe à
la frontière des deux mondes, épaulant Henri et Marie (mais pourquoi diable
vont-ils à Cannes, c’est l’un des mystères – révélés – du roman) tout en
suivant l’évolution de ses filles en devenir et de ce monde en train de changer
irrémédiablement, notamment par son climat auquel il va falloir s’habituer
rapidement.
« Noir canicule » est aussi le
roman de l’héritage et de la transmission : « Est-ce qu’ils avaient partagé la même conviction, ses ancêtres ?
S’étaient-ils vus, eux aussi, comme les derniers ? La question ne lui
était jamais apparue. De se tourner ainsi vers jadis avec cette idée, offrait
un peu de réconfort. Est-ce que chacun se croit le terme, avant que le prochain
endosse ce doute à son tour ? Et qu’ainsi se relaient les épouvantes,
jusqu’au véritable dernier, qui ne se méfie plus ».
Roman fort, maîtrisé à la virgule près dans une écriture sobre, élégante, délicate, qui fait contrepoids avec la tragédie en cours. Belle histoire sombre, personnages plus que crédibles, paysages savamment décrits genre caméra filant au-dessus du sol, ambiance très bien restituée, jusqu’à la couverture qui semble parodier avec talent le cinéma noir français d’une période récente mais révolue. Si vous n’aviez pas encore compris mon appel du pied, le voici sans nuances : n’attendez pas l’hiver pour lire ce roman brillant et impossible à reposer avant la dernière page ! Je reviendrai vers Christian CHAVASSIEUX qui m’a à coup sûr tapé dans l’œil. Grand merci ! Bouquin sorti chez Phébus en 2020.
(Warren
Bismuth)
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