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samedi 18 juillet 2020

Corinne MOREL DARLEUX « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce »


Pour cet essai sur l’effondrement, Corinne MOREL DARLEUX s’inspire du parcours sportif d’un certain Bernard MOITESSIER, plus précisément d’une course maritime en 1969, qu’il était en train de remporter, quand tout à coup, il décida non pas de se rendre au point d’arrivée, mais bien de continuer sa course, jusqu’à ce qu’il espèrait être la liberté, loin de toute entrave, loin des honneurs de la victoire. Perdre volontairement et avec panache semble être à la fois le leitmotiv du marin et celui du présent livre. L’autrice va en partie se baser sur un bouquin de MOITESSIER pour avancer ses réflexions.

 

Ces réflexions sont d’abord une analyse très pertinente du monde d’aujourd’hui : compétition/pollution, l’esprit collectif qui a échoué, d’où cette volonté de changer son quotidien à son petit niveau, là non plus sans entraves. Arrêter de croire que l’on va changer ce monde, mais se changer soi-même, du moins changer nos habitudes toxiques pour la planète.

 

La collapsologie : même si l’effondrement semble inexorable (oui, mais personne ne détient ni la date ni l’envergure de la catastrophe, n’en connaît même pas la potentielle imminence), pourquoi devrions-nous nous résoudre à consommer toujours plus, toujours de manière plus idiote, en « mettant le paquet » ? Dans ce texte, c’est bien de tout le contraire qu’il s’agit, avec des réflexions sur le refus de parvenir, la simplicité volontaire synonyme peut-être pas de bonheur absolu, mais en tout cas de satisfaction passagère, notamment par le refus de promotions professionnelles.

 

L’autrice ne défend pas le misérabilisme, mais bien la dignité : trouver le point d’achoppement entre consommation et respect de la planète, stopper la recherche de la reconnaissance tout en se fondant dans un tout, humblement, sans chercher l’exploit. « Et si l’optimisme m’a depuis longtemps quittée, sur la marche du monde comme sur la nature humaine, la réflexion m’oblige à continuer, à ne pas faire sécession. Non dans l’espoir de victoires futures, je ne crois plus aux actions déterminantes qui pourraient tout changer et je doute de plus en plus que nous soyons en mesure de redresser la situation, non, si je reste concentrée ce n’est plus dans l’objectif de gagner un jour. Pas que j’ai le moindre goût pour les batailles perdues d’avance ou pour la marginalité politique, mais la lucidité acquise au fil des ans, couplée à l’effondrement qui vient, me souffle qu’il est vain de prétendre changer le monde. Tout juste peut-on tenter d’en préserver la beauté, en gage de notre humanité. Avant d’avoir tout saccagé. S’il faut continuer c’est pour ça, pour la dignité du présent ».

 

Corinne MOREL DARLEUX défend avec force lucidité le sens du collectif et des responsabilités dans l’individualisme. « Le refus de parvenir, la frugalité choisie, la dignité que l’on ne place pas dans les colis piégés du système, sont autant de choix individuels qui vont de pair avec le développement d’outils collectifs d’émancipation et de solidarité. Pour qu’il y ait refus, il faut qu’il y ait possibilité ».

 

Dans ce récit ne sont pas oubliées certaines minorités qui ont révolutionné la société en son âme même quant au refus de parvenir. « J’aimerais réhabiliter la beautiful lose, cette lignée extravagante du panache mi-punk mi-rock’n’nroll que révèlent certains choix apparemment désastreux, guidés par la seule beauté du geste – ou par pure fantaisie élégante. Dans une société dominée par l’orthodoxie du mérite et de la réussite, la valeur de certains gestes d’honneur ou de pure classe a hélas dévissé ».

 

Devant un constat de l’échec collectif, l’humour n’est cependant pas jeté à la poubelle non recyclable : « Comment diable nous est venue l’idée d’aller puiser du pétrole sous terre pour le rejeter sous forme de plastique dans des océans qui en sont désormais confits ? D’assécher les sols qui pouvaient nous nourrir, pour alimenter nos voitures en carburant ? De couper les forêts qui nous faisaient respirer pour y planter de quoi remplir des pots de pâte à tartiner ? »

 

Ce combat de Corinne MOREL DARLEUX, ce livre dans lequel elle a mis ses tripes, c’est la somptueuse énergie du désespoir, celle qui pense que même si tout est trop tard, on n’a pas la date de l’ultimatum et que partant de là, loin de se laisser mourir en collaborant, on va tenter de résister. Attention, pas comme des héros, mais comme des anonymes, avec nos forces et nos limites.

 

« Loin d’étoiler la société, les exemples de gratuité du geste, de ‘faire sans dire’ débarrassés de la quête d’approbation, de séduction ou de promesses d’avenir, sont peu fréquents. On les trouve rarement dans les lieux les plus en vue de la société, davantage du côté des nouveaux espaces de luttes collectives plus ou moins clandestines que sont certains squats, réseaux d’aide aux réfugiés ou ZAD, dont les membres fuient comme la peste la célébrité. Ils gagnent dans l’anonymat revendiqué autant de temps et d’énergie qui ne sont pas gaspillés à communiquer, chercher à se faire un nom ou à se hisser de quelques pourcentages aux prochaines élections ». C’est alors que le chroniqueur ici présent, voulant donner envie au lectorat de lire ce petit livre, se rend compte qu’il ne va pas tarder à le citer en entier, et se dit que décidément, il va arrêter là son point de vue convaincu et élogieux pour permettre à son maigre public de se précipiter en librairie afin d’acquérir ce texte fondamental de la société de résistance du XXIe siècle en pays capitaliste. Bravo madame Corinne MOREL DARLEUX ! Ouvrage sorti en 2019 chez Libertalia, il lui suffit de quelques dizaines de pages pour aller à l’essentiel dans un monde fichu. Mais le bouquet final sera divin et coloré !

https://www.editionslibertalia.com/

(Warren Bismuth)

 


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