Le récit démarre par un hommage à Mireille
KNOLL, vieille dame juive ayant échappé à la rafle du Vel d’hiv, assassinée
sauvagement en 2018 à 93 ans, dont la photographie rappelle à l’auteur un très
pénible séjour à l’hôpital Tenon de Paris durant l’été 2003, celui de « La »
canicule.
À cette période, le journaliste Jean STERN
doit se faire opérer d’une sigmoïdite du colon (j’y reviendrai). À l’hôpital et
en pleine chaleur étouffante, il partage sa chambre avec un vieux monsieur ayant
pris un abonnement télé pour suivre les informations. Alors que l’hôpital
semble saturé pour des cas graves d’hyperthermie et déshydratation dues à la
canicule chez les personnes âgées, les journaux télévisés se concentrent sur
l’assassinat de Marie TRINTIGNANT par son conjoint Bertrand CANTAT.
Les animaux de ferme sont particulièrement
touchés par la chaleur et tombent comme des mouches. Mais jusqu’ici tout va
bien, le gouvernement français de Jean-Pierre RAFFARIN reste droit dans ses
bottes, maîtrise totalement la situation, un coup de chaleur, voilà tout. Les
hauts dirigeants sont interviewés en direct de leurs résidences d’été. Qui a
dit obscène ?
Pour Jean STERN, l’opération approche, elle
sera la dernière de tout l’hôpital avant au moins une semaine. La cause :
admissions en cascade de patients touchés de plein fouet par la canicule.
Durant cet été 2003 se joue une véritable tragédie, longtemps sous-estimée.
STERN est opéré, il est conscient de ne pas
être passé loin de la mort. Son voisin est déplacé, le manque de lits se fait
cruel. Pour STERN, et afin de soulager ses violentes douleurs physiques, une
pompe à morphine en auto-injection, ça plane pour lui. Rêves pornographiques et
tout le toutim. Mais dans l’hôpital même, la situation semble devenir
incontrôlable.
Un gouvernement insouciant sous-évaluant de
manière délirante la canicule, des hôpitaux sous-équipés pour un désastre
sanitaire historique, tel est le climat – si je puis dire – de ce
récit-témoignage poignant et bouleversant.
Jean STERN va garder un vrai lien social grâce
aux visites de son petit ami Philippe, de sa mère aussi. Affaibli, il va
cependant reprendre presque « naturellement » son métier de
journaliste en essayant de comprendre les enjeux de cette crise sanitaire, pour
lui-même, démêler le vrai du faux, chercher une vérité cachée.
Je vais devoir revenir un peu sur mon
parcours personnel dans cette chronique, je m’en excuse mais la lecture de ce
texte fut fortement influencée par ma propre expérience. En effet, cinq ans
après Jean STERN, j’ai moi-même subi une opération similaire, je suis moi-même
passé près de la mort. Ce que dépeint STERN quant aux diverses étrapes de son
opération est exactement et à la virgule près ce que j’ai vécu, avec les douleurs,
la morphine (pour moi elle fut un cauchemar et j’ai dû la stopper en urgence),
les insupportables déchirements physiques dans le ventre, la sonde urinaire, le
lent retour à la normale, etc. Chaque mot résonnait dans ma tête et me ramenait
plus de dix ans en arrière, il fut donc impossible pour moi de lire ce récit de
façon neutre et détachée. Quant à la canicule, je l’avais vécue en direct sous
une toile de tente (ambiance sauna assurée), mais ceci est une autre histoire.
Le texte fait la part belle aux phrases et
images choc dans une atmosphère de désolation : « Aux urgences le pire ce n’est pas la mort,
c’est la solitude qu’elle révèle ». Ce témoignage d’une infirmière
concernant les morts de personnes âgées qui n’ont plus eu le temps de se
réhydrater : « Je n’avais plus
qu’à téléphoner aux pompiers, qui parfois ne venaient que quelques jours plus
tard, ils trouvaient les petits vieux décomposés face à leur carafe pleine ».
Et ces frigos de Rungis : « Les
pompes funèbres viennent de réquisitionner les chambres froides du pavillon des
viandes de Rungis pour entreposer les morts. Les vieux à la place des carcasses
de bœufs, les médias en parleront deux jours plus tard, après la torpeur
généralisée ».
Ironie de l’histoire : ce texte sur ce que des médecins ont qualifié d’épidémie fut pour la première fois disponible (en avant-première je précise) en France durant le confinement (résultant aussi d’une épidémie), en version Epub ET gratuite alors que sa sortie papier n’interviendra que fin août chez les toujours très pertinentes éditions Libertalia. Ce récit est bouleversant et je vous invite fortement à lire ces quelques dizaines de pages qui ne peuvent laisser de marbre. Radioscopie d’une période, d’une société, d’un drame. Plus de 15000 personnes y laisseront la vie en France.
https://www.editionslibertalia.com/
(Warren
Bismuth)
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