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samedi 18 juillet 2020

Russell BANKS « Amérique notre histoire »


Cet entretien de l’un des plus importants romanciers états-uniens contemporains a été réalisé en 2006 par Jean-Michel MEURICE. À noter qu’il existe une version DVD produite par Arte de cette interview couplée avec celle de Jim HARRISON. Pour l’heure et pour la version papier, seule celle de Russell BANKS est disponible, et elle est en tous points remarquable.

Comme son nom l’indique, ce livre est une histoire, celle de l’Amérique, des Etats-Unis devrait-on dire, racontée par le très talentueux et érudit auteur lui-même états-unien (mais en partie de sang canadien) Russell BANKS. Répondant aux questions de Jean-Michel MEURICE il dresse un portrait de l’Amérique depuis l’arrivée du Mayflower sur le continent. Chaque période importante de cette nation est brièvement analysée, avec bien sûr ces moments forts : guerres d’indépendance, de sécession, conquête de l’ouest, première et deuxième guerres mondiales, intervention en Irak, etc.

Russell BANKS précise l’influence de LA FAYETTE sur la future nation américaine, il fait d’ailleurs un parallèle à plusieurs reprises sur les interférences entre la France et les Etats-Unis tout au long de leur histoire, commune ou pas. Par exemple, pour BANKS c’est en effet d’Amérique que sont venues les idées principales de ce qui donnera la révolution française à partir de 1789.

BANKS revient aussi sur une histoire du racisme aux Etats-Unis, de l’immigration en de nombreuses vagues, massive et fondatrice du pays. Un point très pertinent : pour BANKS, aux U.S.A. seuls les cubains ne se sont pas assimilés au reste de la population car ils sont venus provisoirement se réfugier en attendant la mort de CASTRO. Ce dernier ayant depuis cette interview levé les bottines, qu’en est-il aujourd’hui (l’interview date de 2006) ? « Je ne voudrais pas paraître abusivement réducteur : mais dès qu’on soulève le couvercle de la société américaine pour regarder à l’intérieur, c’est la race qu’on aperçoit presque toujours. Elle se loge dans le centre obscur de notre nature conflictuelle. D’une certaine façon, nous sommes un peuple schizophrène : je ne veux pas dire que nous ayons une identité divisée, mais notre identité est si profondément contradictoire qu’elle s’annule d’elle-même. Nous sommes en guerre contre nous-mêmes. Ce qui explique, me semble-t-il, que nous partions si souvent en guerre contre les autres : afin d’éviter de nous en prendre à nous-mêmes ».

Pour BANKS, la conquête de l’ouest, tout en ayant tout l’air d’une colonisation, n’en est pas une car elle est interne à un seul pays, puis l’auteur développe son idée avec érudition et intelligence.

Les Etats-Unis ont toujours été motivés par leurs propres intérêts dans leurs relations internationales, qu’ils aient été interventionnistes ou isolationnistes, ce qui est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui. Mais BANKS montre que leurs interventions successives durant les deux guerres mondiales furent avant tout égoïstes, pour des intérêts tout personnels, exacerbant un nationalisme déjà fortement ancré et d’autant plus étonnant qu’il est issu de l’un des peuples les plus métissés vivant sur terre.

Un autre intérêt de cette interview est cette liste de films américains proposée par l’interviewer Jean-Michel MEURICE, films donnant une image, tronquée ou non, de l’histoire des Etats-Unis, liste sur laquelle BANKS réagit. Et bien sûr il revient sur le mythe du western, réflexions encore une fois fort instructives.

J.F.K. est passé à son tour à la moulinette, loin de l’image d’Epinal dressée par la parole publique. Dynamitée également la figure du gentil américain altruiste : « L’américain authentique est quelqu’un de cynique, de matérialiste et d’avide (il cherche de l’or) et qui, pourtant, se sent investi d’une mission idéaliste, voire religieuse. Quand on se raconte un mensonge aussi gros et qu’on l’appelle rêve, on finit par commettre des actes violents. C’est dans la psychologie humaine. Et si ce mensonge envahit la mythologie que défend notre peuple, alors nous sommes obligés d’agir violemment en tant que peuple ».

Le monde contemporain est à son tour analysé, avec cette sorte de monopole détenu par la télévision et la publicité, toutes deux fort bien utilisées par les figures politiques. « En réalité, ces plaisanteries parlent de protéger les plus jeunes et les plus vulnérables, ceux qui ne sont pas capables de faire la distinction entre publicité et réalité. Mais aujourd’hui nous avons introduit le tigre à dents de sabre dans la caverne et nous lui avons dit : Installe-toi bien confortablement près du feu. Et maintenant, nous laissons le représentant garder les enfants pendant que nous sortons. C’est une situation très dangereuse. Nous avons colonisé nos propres enfants ».BANKS est résolument un homme de gauche qui décortique l’histoire, mais sans jamais tirer la couverture à lui, il tente de rester à l’abri des réactions partisanes, même s’il s’insurge – mais tout en finesse – contre le racisme, la colonisation par exemple.

Ce petit bouquin est une petite mine d’or pour qui ne connaîtrait pas ou peu ce grand auteur qu’est Russell BANKS, ou pour qui méconnaîtrait parfaitement l’histoire des U.S.A. Si vous possédez et souhaitez vous débarrasser de la version DVD avec la présence de Jim HARRISON (les deux romanciers se connaissaient bien), pensez à moi, Dieu vous le rendra.

 (Warren Bismuth)


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