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dimanche 5 juillet 2020

John DOS PASSOS « Aventures d’un jeune homme »


DOS PASSOS a rédigé ce roman résolument politique en 1939, la date est importante pour la suite. La trame est classique, elle suit le parcours d’un jeune idéaliste habitant L’ohio, Glenn, séduit par les idées communistes dans des U.S.A. plutôt hostiles à cette doctrine. Il vit de petits métiers dont celui de moniteur, c’est d’ailleurs lors de cette mission qu’un des enfants dont il a la responsabilité disparaît lors d’une excursion en kayak. Premiers pas dans la vie d’adulte et premiers vrais soucis.

Le père de Glenn s’en détache, lui n’est pas précisément un homme de « gauche » et réprouve le militantisme de son fils. Glenn va faire des études, puis rapidement errer avant de participer à des meetings politiques. Il devient le trésorier d’un comité de soutien à des ouvriers mexicains, ce qui entraîne son licenciement. Aux Etats-Unis on ne rigole pas avec les soutiens communistes, l’ennemi juré s’appelle l’U.R.S.S. et il vaut mieux pour un citoyen états-unien ne pas trop montrer son affection pour la couleur rouge. Glenn se risque à déménager à New York, où les collectifs communistes sont actifs. Il en devient même un élément incontournable du militantisme local et même national. Dans un pays alors attiré par le capitalisme et le libéralisme, Glenn fait figure de traître, de paria.

Il n’est pas nécessaire de résumer toutes les embûches dont lui et ses camarades vont être victimes, elles sont horriblement banales à l’intérieur de frontières prônant la surconsommation et l’égoïsme.

Glenn regarde d’ailleurs du côté de l’U.R.S.S., l’un de ses amis en est revenu. Ce grand pays a engendré la révolution prolétarienne avant d’instaurer une dictature communiste dont la silhouette du moustachu Joseph en est l’emblème et l’apogée. Ailleurs, en Europe, le nazisme et le fascisme montrent leurs crocs acérés, en Allemagne, en Italie, en Espagne. C’est d’ailleurs dans ce dernier que Glenn décide d’aller se battre sur le terrain en pleine guerre civile. Il y perdra ses illusions et sa vie…

Si DOS PASSOS, qui est aussi allé faire un tour du côté de l’Espagne à la même période, n’y a pas perdu la vie, il y a définitivement laissé ses illusions de gauche. C’est précisément à cette date que ses convictions politiques vont être chamboulées à son retour. Aussi, on peut voir Glenn comme une sorte de double de DOS PASSOS, lui-même tenté par l’idéal anarchiste (« Nous autres, pauvres mineurs, on se fait traiter de rouges et d’anarchistes, à moins que ce soit parce que nous on n’a rien à se mettre sous la dent, sauf des briques et des fayots, et si l’un des nôtres se place devant le soleil, vous pourrez voir la lumière au travers de son corps ») puis déçu et même désespéré par le communisme. Quant à son héros malheureux, Glenn, il semble trop anarchiste pour les communistes et trop communiste pour les anarchistes.

Les plus belles pages de ce copieux roman sont au début de chaque chapitre, où DOS PASSOS, dans la structure, fait un rapide clin d’œil à « U.S.A. » en les commençant de manière personnelle, comme la livraison succincte, percutante et poétique d’un journal de bord sur l’état de son pays et la course à la catastrophe. Ces textes mis bout à bout sont grandioses. Plus surprenant, c’est sans doute l’un des seuls romans de DOS PASSOS à parler de Dieu, en tout cas des personnages s’y réfèrent, mais l’auteur ne s’étale pas, n’en abuse pas et reprend son récit politique.

DOS PASSOS reviendra changé de la guerre d’Espagne, Glenn ne reviendra pas, il représente les attentes politiques de son géniteur littéraire. Ce roman a été écrit juste avant la seconde guerre mondiale, il est désenchanté, très critique sur les luttes, il sonne comme la fin d’une utopie et l’entrée dans un monde nouveau, celui du capitalisme effréné des U.S.A. Il fut d’ailleurs rédigé juste après la fin de la trilogie « U.S.A. » de DOS PASSOS, dont la complexité étourdissante dépeignait l’instauration puis le vrai pouvoir du capitalisme. Ici, il est bien plus accessible et peut être comparé à certains Jack LONDON, mais peut-être surtout aux « Raisins de la colère » de STEINBECK, il est la lutte prolétarienne, l’échec de la fin des privilèges bourgeois comme celui du désir de révolutionner la pensée : « Ici [en Espagne, nddlr] nous avons plusieurs sortes de guerres. Nous nous battons contre Franco mais nous nous battons aussi contre Moscou… si tu te fais enrôler dans la Brigada, il faudra pas les laisser se battre contre nous. Ils voudraient instaurer la dictature de la police secrète, tout comme a fait Franco. Nous avons à nous battre sur deux fronts pour protéger notre révolution ». Comme chez STEINBECK, il est écrit de manière directe, avec une langue plus près du peuple, il est âpre, simple mais efficace.

Premier volet d’une nouvelle trilogie entamée par DOS PASSOS, qui se poursuivra par « Numéro un » (1943) et « Le grand dessein » (1959), « Aventures d’un jeune homme » a été réédité en 2019, avec une couverture très réussie. Espérons que les deux volets suivants soient à leur tour republiés. Petit aparté : en septembre prochain nous commémorerons le cinquantenaire de la mort de DOS PASSOS, il me fallait célébrer à ma manière cet anniversaire. C’est chose faite.

 (Warren Bismuth)


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