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dimanche 12 juillet 2020

Isabelle FLATEN « Les deux mariages de Lenka »


Dans ce nouveau roman d’Isabelle FLATEN, nous allons suivre son héroïne Lenka Svobodová sur une partie de sa vie, située en République Tchèque, entre le communisme, sa chute, et les premières traces indélébiles de l’ère capitaliste en fin de siècle numéro vingt. Le mari de Lenka, Honza, est d’ailleurs décédé quelques jours avant la chute du mur, un signe sans doute.

Pavla, la fille de Lenka, est partie chercher une vie meilleure loin de sa mère, elle est même considérée comme disparue dans le cœur maternel. La voisine de Lenka s’appelle Eva et vit avec Marek. Ils sont d’une importance capitale dans ce récit. Ils ont longtemps côtoyé Lenka et Honza dans cet immeuble délabré de Prague. À la mort d’Honza, Lenka a pourtant fui, mais attirée par ses racines et ses souvenirs, elle a fini par revenir vivre dans le même immeuble, où Eva et Marek habitent toujours. Seulement voilà : le passé de Lenka ressurgit. Celui de Honza surtout, le mari défuncté.

Honza n’a pas été tout blanc dans leurs relations de voisinage, Lenka apprend de la bouche d’Eva quelques mystères de la vie privée de Honza, et ils ne sont pas précisément jolis. Et sont contemporains de l’époque où Marek, sous le communisme, faisait circuler des samizdats, revues clandestines interdites par les autorités. Mais Lenka n’était-elle pas elle-même un ennemi de classe à cette époque ? « En cas de pénurie, elle n’hésitait pas à stocker, un geste hostile qui faisait de vous un ennemi de la démocratie populaire. Elle se souvient combien alors à l’époque elle rêvait souvent d’une délicatesse ou d’un fruit exotique à la place de ces sempiternelles patates molles et maintenant qu’il y a tout ce qu’il faut, cela ne lui dit plus rien. C’est quelque chose qu’elle ne s’explique pas. Au début, elle a fait comme les autres, goûté à toutes les nouveautés à portée de son portefeuille et puis la saveur s’est envolée. Une dernière bière et au lit ». Parce qu’en plus Lenka s’adonne parfois un peu (beaucoup ?) à la boisson, la picole, pour se griser.

Alors Eva s’éloigne de Lenka, car elle accuse cette dernière d’avoir en quelque sorte été complice de son mari du temps où ils étaient voisins. L’atmosphère dans l’immeuble devient rapidement irrespirable. Lenka se rapproche de sa fille Pavla. Là aussi elle apprend des nouvelles guère réjouissantes...

Les étrangers, parlons-en : après quelques errances, Lenka est engagée comme domestique chez un très riche couple français. Là elle bascule, se met à voler ses employeurs, de plus en plus souvent, des objets et bijoux de plus en plus chers, qu’elle va d’ailleurs revendre dans un vide grenier. Elle entretient une relation ambiguë et terriblement malsaine avec sa patronne en mentant toujours plus afin de se protéger, peu importe si d’autres peuvent être accusés à sa place. Et d’un mensonge à un autre, elle entre dans une spirale infernale. Parallèlement, l’inamovible fantôme de Honza refait régulièrement surface.

Quoi qu’il en soit, ses patrons l’invitent carrément pour des vacances en France, en passant par Paris et Arcachon. C’est là-bas que Lenka va faire la rencontre d’un certain Paolo. Tout de suite, le courant passe, c’est même le coup de foudre mutuel. La mort dans l’âme elle retourne à Prague. Mais Paolo est bien décidé à suivre son nouvel amour, à tenter une aventure un peu plus longue. C’est ainsi qu’il débarque à Prague, au milieu des mensonges de Lenka, des accusations d’Eva. Lenka ne va pas tarder à tenter de manipuler Paolo…

Lenka a vécu le communisme même si elle ne l’a pas toujours défendu. Après sa chute, elle s’est adaptée, sans états d’âmes, dans le nouveau monde, plus libéral.  Mais au-delà du parcours d’une femme se voulant moderne, il faut apercevoir les fils tendus par l’autrice : ces artistes contestataires qui ont fui la République Tchèque sous le communisme pour jouir de leurs talents loin de la censure d’Etat, ils ont créé un sacré vide dans l’intelligentsia nationale. Il est également intéressant de noter cette sorte de scission dans le peuple lors de la reconstruction (pour la Tchéquie, la Révolution de Velours de fin 1989 menée par Václav HAVEL), personnalisée dans ce court roman par les figures de Lenka et d’Eva, cette Eva qui prête un livre qu’elle a surligné au préalable à Lenka, pour lui montrer les méfaits voire les horreurs du communisme de jadis, et l’attitude ambivalente de Lenka, qui l’analyse de la façon suivante : « Des bouches cousues par la peur parce que l’ouvrir c’était risquer sa peau et elle n’avait pas envie de mourir, plutôt vivre la parole étouffée que pas du tout, est-ce si difficile à comprendre ? ».

Mais ne nous y trompons pas : ce livre est un espoir, par sa fin, les projets. Isabelle FLATEN a elle-même vécu en Tchéquie donc elle maîtrise le sujet et sait le faire partager dans ce roman mi-dramatique mi-sentimental, mais avec de gros vilains coups bas, notamment ceux de Lenka, une héroïne loin d’être exempte de faiblesses égoïstes, avec ses mensonges à répétition et ses manipulations à peine conscientes sur la personne naïve de son nouveau compagnon Paolo. Un roman à la fois léger et grave, disponible fin août aux superbes éditions Le Réalgar.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)


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