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samedi 8 août 2020

Raymond PENBLANC « Somerland »

Survol des lieux de l’action : une île nommée Somerland, une falaise surplombée d’un château en ruine, elle aussi tombe en ruine. Aussi une poignée de prisonniers est désignée pour restaurer cette falaise. Quatre comparses s’entendant plus ou moins bien (disons moins) : Ousmane, Lestor (tous deux se détestent), Malek et le narrateur, tous entre 17 et 18 ans, condamnés pour des forfaits dont nous ne saurons pas grand-chose. Un gardien violent et furieux veille sur eux à coups de crosses, de pieds dans le bide, d’intimidations et d’humiliations quasi quotidiennes. C’est Somer, une saloperie humaine dont Malek est l’amant soumis. Lestor est, côté prisonnier, une belle ordure aussi, jolie concurrence.

 

Dans ce lieu de cauchemar, pas mal de prisonniers ont déjà été jetés à la flotte du haut de la falaise sur ordre de Somer. Aussi vaut-il mieux se tenir à carreau. Le boulot pour les détenus est monotone et épuisant : charrier des pierres à l’aide de wagonnets sur de vieux rails, puis rénover la falaise, corps suspendus au dessus du vide, juste retenus par une nacelle plus ou moins branlante munie de chaînes rouillées. Vision d’angoisse. Pour le repos, ce n’est pas gagné non plus : chambres sans portes, sans intimité. Et brimades du gardien.

 

Somer est obsédé par la propreté, bien que ses « sujets » bossent dans la crasse, la poussière, la boue. Ils doivent être rigoureux en présentation. Somer est clairement un foutraque hérité des nazis qui exerce une extrême violence psychologique pour l’obéissance soumise et aveugle de ses prisonniers. Pour ses derniers se dresse comme un objectif ultime à atteindre : se débarrasser de Somer, le faire disparaître de la surface de la terre par tous les moyens disponibles. Oui, mais une rencontre décisive survient pour le narrateur : elle s’appelle Yliane, dite la sauvageonne. Elle dit le connaître, mais qu’en est-il ? Puis il y a un lieu à explorer plus en profondeur et détails : un souterrain. Peut-être que la liberté est au fond de celui-ci. Encore faut-il parvenir à le visiter, loin des yeux pleins de haine de Somer…

 

La plume de Raymond PENBLANC est sans doute l’une des plus belles de la littérature française contemporaine : à la fois dense, fluide, poétique, violente, tranchante, sombre, on l’imagine déclamée, scandée d’une voix éraillée mais puissante. Elle envoûte la relation entre humain et environnement immédiat, de magnifiques phrases, de splendides images (pas toujours très guillerettes par ailleurs) se dressent comme un mât sur cette mer encerclant les prisonniers : « En l’absence de Somer on improvise des concours de lancers de cailloux. Ces enfantillages le font sourire. Non seulement il nous faudra les remplacer, mais il en restera toujours assez pour épuiser les générations futures. On sait qu’on n’a rien à espérer de Somer. Comme on sait qu’on a quantité de frères et sœurs encore à naître dans des milliers de ventres encore vierges. On les espère plus grands et plus forts que nous, déterminés, farouches, résistant à tout ».

 

D’autres peintures furtives donnent du poids au texte : « Les poignées de mains des filles sont déconcertantes. Ce ne sont d’ailleurs pas des poignées, ce mot est impropre. Elles se contentent de nous céder trois doigts, de les glisser entre les nôtres comme une vieille clé qu’elles abandonneraient sans qu’on sache quoi en faire. Nos mains se quittent à regret ».

 

Du passé, nous n’apprendrons pas grand-chose, l’auteur fait en partie l’impasse sur le parcours des protagonistes, même il s’étend plus volontiers sur les souvenirs d’enfance du narrateur, notamment le grand-père obsédant. Mais le propre père du narrateur aurait-il vécu sur l’île ? Si oui, en quelle qualité ? Car le passé de ce narrateur va reparaître, par bribes, avec néanmoins certaines petites touches plus précises. Le voile se lève en partie sur la raison de l’emprisonnement du narrateur : il a voulu tuer une femme, mais là n’est pas le thème essentiel, juste une « anecdote ». Le récit se déroule en majorité au présent.

 

Et puis il y a ce fameux souterrain, un sujet déjà présent près de 30 ans plus tôt dans le premier roman de Raymond PENBLANC « L’âge de pierre ». Serait-il possible d’explorer ce monde enterré, peut-être même d’y trouver une salutaire porte de sortie vers la liberté ?

 

Roman coup de poing, atmosphère singulière, personnages brumeux, paysages grandioses mais inquiétants, scénario tendu, une totale réussite pour une lecture pleine d’angoisse et de finesse. Sorti en 2019 aux superbes éditions Lunatique dont je reparlerai très prochainement.

https://www.editions-lunatique.com/

(Warren Bismuth)


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