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jeudi 20 août 2020

COURTS-BROUILLONS : Raymond PENBLANC « Fantômes »

 

DES LIVRES RANCES est heureux et ému de vous présenter une nouvelle rubrique : Courts-Brouillons. Attention, si elle est pourtant inaugurée ce jour, elle n’est pas destinée à être ponctuelle, ni à simplement « devenir ». Je souhaiterais qu’elle contienne des textes inédits d’auteurs contemporains, n’excédant pas deux pages A4. Cette rubrique sera uniquement le potentiel résultat d’un travail de partage. Première salve avec ce superbe texte inédit de Raymond PENBLANC, auteur déjà présenté ici. Raymond PENBLANC a notamment publié chez les éditions Le Réalgar et Lunatique. Fort d’une petite dizaine de romans et de nombreux récits notamment disponibles sur la toile, il nous offre ce texte puissant et évocateur, comme un cadeau venu de loin, hors des frontières, même si à cheval sur elles. Il est extrait d’un roman non publié écrit en 2011. Merci et respect, Monsieur !

 

***

 

La dernière balade avec papa, je l’ai faite dans les Alpes, à deux pas de la frontière italienne. Ne la voyant matérialisée nulle part, on s’était amusés à la dessiner nous-mêmes, de la pointe du pied, sans tenir compte de la carte d’état-« majeur », comme on disait pour se faire rire. Ensuite on s’était séparés, papa en France, moi en Italie, et on avait échangé nos impressions. Est-ce que j’avais plus chaud en Italie ? Est-ce que je parlais italien ? Est-ce que je chantais le bel canto ? Égrenant le chapelet des villes célèbres, j’avais répondu que je pouvais voir Turin, Milan, Venise, Florence et Rome, rien qu’en me haussant sur la pointe des pieds. Je pouvais même distinguer le Gran Sasso émergeant d’une couronne de nuages, tout comme j’apercevais le golfe de Gênes et la baie de Naples jusqu’au détroit de Messine, avec le Vésuve ceint d’un halo de brume, et la mer si bleue que papa à son tour avait voulu la découvrir et qu’il m’avait rejoint. Et on était restés un moment de ce côté de la frontière, en se disant que si on attendait la nuit on ne retrouverait sûrement plus notre chemin, et qu’on cesserait d’exister en tant que français pour devenir de vrais italiens, de vrais fantômes italiens, dont je regrette, aujourd’hui que papa n’est plus là, de ne pas avoir eu la présence d’esprit de lui demander de quelle matière ils étaient faits, et comment on pouvait les repérer, comment on pouvait continuer à communiquer avec eux, sans renoncer à être soi-même, sans prendre le risque de disparaître.

 

Raymond PENBLANC, 2011

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