Un nouveau ECHENOZ est toujours une sorte
d’événement littéraire. Aussi je me suis empressé de l’acquérir le jour même de
sa sortie et n’ai pas résisté à l’envie de l’ouvrir illico, ne pouvant
rapidement plus détourner les yeux de ces pages.
On ne résume pas un ECHENOZ, car forcément
tout va de travers. Le maître de la digression en tous genres est un diablotin
pour vous faire tourner en bourrique. Cette fois-ci, le point de départ est un
satellite russe, reliquat de la guerre froide, s’écrasant sur un hypermarché,
vingt tonnes sur le magasin, comme ça, d’un coup, sans même prévenir. L’une des
victimes est Robert d’Ortho, propriétaire de Gérard Fulmard.
S’il vous faudra rapidement oublier le
personnage de d’Ortho, gardez en revanche celui de Fulmard en mémoire, ce sera
lui le héros malheureux de ce roman casse-tête. Le Fulmard en question a été
entre autres steward, puis auto-entrepreneur, mais tout a périclité, et il est
présentement au chômage. Il se voit approché de manière singulière par des
membres d’un parti politique, la F.P.I., autrement dit la Fédération Populaire
Indépendante, tout un programme (politique) ! La secrétaire générale du
parti, Nicole Tourneur, vient d’être enlevée. Mais on me dit dans l’oreillette
(droite) qu’elle aurait déjà été assassinée par ses ravisseurs.
Les dirigeants de cette mystérieuse F.P.I.
peuvent bien entendu faire penser à des politiciens existants, les scènes
aussi : magouilles, intrigues, coups bas, intimidations. Vous ferez connaissance
avec le gratin du parti : le bureau exécutif, le secrétariat général, la
sécurité, la coordination inter-sections, les tendances au sein du même parti,
etc. Fulmard peut être vu comme l’un de ces quidams sans aspérités, un poil
naïf, avec ce petit côté Pierre Richard qui ne peut que le rendre attachant.
En
de courts chapitres modernes et rythmés, ECHENOZ prend son lectorat en
permanence à contre-pied : alors que nous nous attendons à une chute,
l’auteur part sur un autre décor, parfois de nouveaux personnages, puis
revient, mais comme habillé différemment, avec d’autres objectifs, que bien sûr
là aussi il abandonne bien vite. Avant de reprendre. Plus loin. L’écriture,
c’est là le talon d’Achille d’ECHENOZ : d’une précision chirurgicale (clin
d’œil pour la fin du roman), riche et dense, enrobée et savoureuse, elle a un
goût de miel pour parler du tragique. On rit beaucoup, on en finit presque par
oublier le scénario, impatients de parvenir au prochain calembour, à la
prochaine scène burlesque.
L’auteur
dissèque chaque action à la perfection, jouant avec les mots, construisant un
puzzle littéraire déconcertant : « Louise Tourneur nage vraiment très bien, sans zigzaguer ni se balancer
gauchement ni procéder en force, travers classiques lorsqu’on s’aventure dans
ce style, sans plier les jambes ni trop immerger ses épaules. Elle sait
orienter ses surfaces motrices et ses appuis, ses bras la tractent latéralement
sans aller se perdre en profondeur, ses mains s’extraient de l’eau par le pouce
comme il convient pour y replonger par l’auriculaire. Ses voies aériennes sont
dégagées, ses yeux fixent le ciel couvert et sa tête, gouvernail de son corps,
demeure parfaitement immobile. Elle a eu de toute évidence un excellent
professeur ».
Si
ce roman n’est pas explicitement politique, il est une sorte de boutade acerbe qui
en observe de loin les tracas, il n’est pas militant, il est une farce dégagée,
libre, et comme je l’ai écrit plus haut, chirurgicale : « Arrive un temps où tout s’érode un peu plus
chaque jour, là encore est l’usure du pouvoir : du royaume digestif à
l’empire uro-génital, de la principauté cardiaque au grand-duché pulmonaire,
sous protection de plus en plus fragile de limes fortifié de l’épiderme et sous contrôle bon an mal an de l’épiscopat cérébral,
ces potentats finissent par s’essouffler ». Même Mike BRANT vient
faire une apparition (par la fenêtre), c’est dire.
Un
roman tout en acronymes, débutant avec un engin estampillé U.R.S.S., se
poursuivant par la F.P.I. et se terminant (non je ne donnerai pas plus
d’indices) par une I.R.M. ECHENOZ a encore frappé, et c’est tant mieux. Comme
tous ses romans, celui-ci est sorti au éditions de Minuit, en ce tout début de
2020, l’année pourrait fort être foisonnante.
(Warren Bismuth)
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