Un nouveau roman de Laurent MAUVIGNIER est toujours un événement sur la planète littéraire, d’autant que cette fois-ci il aura fallu patienter quatre ans. « Histoires de la nuit » est imposant par son volume (635 pages), mais aussi par son contenu.
Un hameau du centre de la France, celui des Trois Filles Perdues, commune de La Bassée (rien à voir avec celle du nord). Trois fermes. L’une est habitée par la famille Bergogne : Patrice, 47 ans, sa femme Marion qui va fêter ses 40 ans et leur jeune fille Ida. Une autre ferme est occupée par Christine, artiste peintre, enracinée ici depuis des décennies, depuis qu’elle avait sympathisé jadis avec le père Bergogne et qu’elle avait fini par acheter ici cette habitation, quittant définitivement Paris. La troisième ferme est à vendre.
La famille Bergogne fut longtemps la propriétaire de ce hameau, famille paysanne, rude à la tâche. Les deux frères de Patrice ont quitté les lieux au fil du temps, partis chercher un avenir meilleur, ailleurs, loin de la gadoue et des champs de céréales à perte de vue de cette région désertée. Patrice est le seul qui soit resté. Puis vient le temps des décès, la mère d’un cancer, suivie du père.
Christine reçoit des lettres anonymes de menace auxquelles elle ne comprend rien. C’est alors qu’un inconnu se rend au hameau, disant vouloir acheter la ferme à vendre, sans avoir pris rendez-vous. C’est le début d’une descente aux enfers.
Roman long et oppressant, il n’est pourtant jamais ennuyeux, les phrases de MAUVIGNIER s’étalent parfois sur des pages et appuient un peu plus sur la tête du lectorat alors que le corps se noie déjà. Ambiance tendue, poisseuse, nauséeuse, extrêmement dérangeante. Entre Patrice et ses rencontres-fantasmes, Marion et son passé trouble et lourd, l’acheteur inconnu qui va ramener ses frères, la fille Ida entourée d’un mystère, Christine femme affirmée et libre qui va faire prendre une tournure inattendue à l’histoire après que son chien soit empoisonné, tout dans ces pages sent le soufre, le sang, le pourri et le malsain.
MAUVIGNIER réussit un somptueux tour de force : prenant comme espace la ruralité dans toute sa grandeur, comme espace potentiel pour respirer un peu, il prend tout son monde à contre-pied et impose un scénario, par ailleurs assez minimaliste, en quasi huis clos, nous empêchant même de nous pencher à la fenêtre pour inhaler à la dérobée une bouffée d’oxygène.
635 pages en apnée, éblouissantes, inconfortables et grandioses, c’est un nouveau coup de massue de la part d’un auteur qui n’en est plus à son coup d’essai. Thriller psychologique haletant, il est aussi roman littéraire et exercice de style très poussé, exercice d’équilibriste dans lequel, comme toujours, MAUVIGNIER ressort sans une égratignure, contrairement à son lectorat, secoué et perturbé. Ce roman mémorable vient de sortir chez Minuit.
« Bientôt, il y aura la mort qui s’invitera dans le hameau comme elle s’invite partout, car elle est partout chez elle, chez elle quand elle veut, prenant ses aises dans des appartements où elle n’avait jamais posé les pieds ni daigné lancer un coup d’œil ; soudain chez elle, comme une reine sans pudeur et sans gêne, vaguement obscène, laissant hagards et démunis tous ceux qui avaient cru un instant qu’elle les avait oubliés ».
http://www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren Bismuth)
Bonjour, c'est le premier roman de Laurent Mauvignier et quelle révélation! J'ai été éblouie par le style. Je n'ai pas lâché le roman jusqu'à la fin. Je dirais que l'histoire est secondaire. Un grand roman. Bonne journée.
RépondreSupprimerJ'ai pour projet de le relire un jour tellement il m'a fait forte impression.
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