Recherche

mardi 15 septembre 2020

Robert DAVEZIES « Le front »

 


En 1959, Robert DAVEZIES, prêtre ouvrier proche des milieux d’extrême gauche, membre du Réseau Jeanson, donne la parle aux combattants pour l’indépendance de l’Algérie dans le conflit l’opposant au colonisateur français.

Plusieurs originalités dans cet ouvrage : si les témoins interviewés ont bien lutté, aux côtés de l’Armée de Libération Nationale (A.L.N.) notamment, ils sont exilés au Maroc ou en Tunisie lorsqu’ils se prêtent au jeu du questions/réponses de DAVEZIES. Chacun va exposer ses souvenirs, sa version des faits, mais tous vont faire part de leur appartenance à la Révolution algérienne. L’auteur : « Je me porte garant de l’authenticité de tout ce que le lecteur va trouver dans ce livre. Mes interlocuteurs me sont apparus dignes de foi. Le lecteur pourra juger de leur qualité à partir de leurs témoignages. Qu’ils n’aient pas tout dit, qu’ils se trompent quelquefois, je suis le premier à en convenir. Ils disent les choses telles qu’ils les voient, telles qu’ils les ont vues, ils racontent les événements à leur manière ».

Plusieurs situations et ressentis reviennent au cours des témoignages : misère, esclavagisme, inégalité, racisme des blancs (français), violence. L’école n’est pas toujours autorisée aux jeunes algériens, pourtant sur leurs terres, terres volées par « l’occupant », c’est en partie ce qui déclenchera la révolution du 1er novembre 1954 pour l’indépendance de l’Algérie. « Le peuple est attaché à la terre, le peuple connaît la valeur de la terre. Il n’y a pas d’idée de revanche dans le peuple, mais simplement un souci de justice : sa terre, on la lui a volée, il la reprend par les armes ».Certains témoins avancent cependant la date du massacre de Sétif dès le 8 mais 1945 comme véritable point de rupture et de départ de cette guerre, d’autres encore en voient même des prémices dès le début de la seconde guerre mondiale.

Les interviewés s’accordent à évoquer la torture, très présente, moyen d’intimidation, façon de délier les langues, de mettre les fichiers à jour.

Les combattants s’engagent très jeunes dans les rangs de l’armée algérienne, les femmes sont présentes en nombre, elles seront aussi parfois assassinées, avec un enfant dans les bras, voire dans le ventre. Les témoins ont fui, les raisons sont diverses, mais ils sont là, entre Maroc et Tunisie, pays qu’ils souhaitent alliés de manière active, avec leurs souvenirs, leurs images et leur envie de parler, de dialoguer, d’échanger. L’étonnant est peut-être cette sorte d’admiration que le peuple algérien semble alors faire preuve pour la politique de l’U.R.S.S., y compris au sein du F.L.N.

La dernière intervention est celle d’un homme envisageant l’avenir de l’Algérie une fois l’indépendance acquise (elle aura lieu trois ans plus tard), le futur sur les plans économiques comme humains. Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout ne s’est pas déroulé comme prévu…

Documentaire pouvant aisément être rangé aux côtés des travaux – pour d’autres sujets politico-historiques – de Charlotte DELBO ou, plus près de nous, de Svetlana ALEXIEVITCH, toutes deux déjà présentées à plusieurs reprises sur le blog. En effet, DAVEZIES laisse la parole aux témoins directs, aux sans grades, aux inconnus, ceux qui ont pourtant été aux tout premiers rangs. Il intervient peu, laisse la pelote se dérouler naturellement. « Le front » a été publié en 1959 aux éditions de Minuit, il fut l’un des ouvrages majeurs de l’éditeur publiés durant la guerre d’Algérie. Il a été republié sous format numérique par les éditions FeniXX.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire