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mercredi 9 septembre 2020

Jacques CHARBY « L’Algérie en prison »

 


Suite du cycle sur les Éditions de Minuit et la guerre d’Algérie, entamé sur le blog en 2019 avec six présentations de livres, tous saisis durant la guerre. « L’Algérie en prison » est un témoignage sur les geôles métropolitaines réservées à ceux considérés comme des ennemis d’État durant la guerre de Libération.

Après une préface offensive d’André MADOUZE, place aux souvenirs du comédien Jacques CHARBY. Arrêté le 20 février 1960 par la D.S.T. dans les Pyrénées françaises, il est amené par train dans les sinistres locaux de la rue des Saussaies à Paris. Là il va être interrogé un poil virilement. Disons tout net qu’il est passé à tabac pour le simple soupçon d’avoir eu des contacts avec des algériens possiblement militants du F.L.N.

Dans la rue des Saussaies, les traditions ont la peau dure. Les tortures effectuées jadis en ces lieux se tiennent toujours à la même adresse et à peu près dans les mêmes conditions, l’occasion pour l’auteur de se souvenir qu’en 1941 il avait 11 ans, qu’il était juif, et qu’il avait vu disparaître une partie de sa famille dans des trains bondés.

Rue des Saussaies donc. On y trie les prisonniers par race (les blancs et les autres), interdiction de partager la nourriture. Quant à CHARBY, après des interrogatoires musclés destinés à lui faire cracher le morceau et ses dents concernant des noms d’activistes algériens, il est déshabillé, mis à nu, deux femmes sont invitées à prendre part au spectacle gratuit, tandis que suavement, l’un des tortionnaires s’écrie « Regardez-le, ce fumier qui se fait empapaouter par les bicots ».

CHARBY est entre autre détenu avec des signataires du livre « La gangrène », saisi deux ans plus tôt. Il se passe d’ailleurs des événements positifs derrière ces barreaux : par exemple la caisse de secours est alimentée par les prisonniers eux-mêmes. CHARBY est un détenu actif : il donne des cours à des élèves de CM1 puis de 5ème. Politisation des prisonniers, grèves de la faim ? Réponse immédiate par la violence de la part des geôliers.

Au beau milieu du livre, ce témoignage se transforme tout à coup en journal de bord des six premiers mois de l’année 1960 vus et ressentis par l’auteur. C’est en effet le 30 juin 1960, après avoir été malade plusieurs semaines, que Jacques CHARBY est libéré et clôt l’écriture de son bouquin qui sera saisi par les autorités françaises pour diffamation de la police en 1961. Un témoignage important du passage à tabac, du lynchage, y compris pour les « éléments blancs » soupçonnés de fricoter avec l’ennemi basané. Période essentielle sur la censure de l’édition, l’intimidation et l’acharnement étatiques, notamment sur les éditions de Minuit (saisies 10 fois entre 1958 et 1962). Quelques dizaines de pages pudiques mais fermes sur un quotidien enduré tant bien que mal par un prisonnier décidé à se taire sur les soupçons à son encontre.

Et puis dans ce journal de bord apparaissent les souvenirs, ceux évoqués par des camarades, ceux d’une autre guerre, pas si lointaine, contre le nazisme : « Un militant me raconte qu’il avait passé cinq jours au Vel’d’Hiv’ au moment des grandes rafles. On y avait parqué par milliers hommes, femmes et enfants algériens. Il m’affirme que plusieurs sont morts étouffés ».

Livre devenu rare mais toutefois réédité en Algérie, il l’est aussi numériquement ici par les éditions FeniXX qui se chargent de dématérialiser des livres introuvables, notamment certains des éditions de Minuit, une aubaine car de véritables trésors se cachent dans ce catalogue, des redécouvertes exceptionnelles qui permettent notamment de relire la guerre d’Algérie au cœur de l’action.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

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