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mercredi 18 mai 2022

Iàkovos KAMBANÈLLIS « La cour des miracles »

 


Au cœur du quartier de Vyronas à Athènes se dresse un immeuble abritant une cour. Ici vivent plusieurs familles d’origine modeste, nous sommes dans les années 50. C’est dans cette cour que toute l’action de cette pièce de théâtre grecque va se dérouler sur cinq mois.

Dix-sept personnages vont se succéder dans cette cour où toute une vie règne. Ces protagonistes représentent chacun dans sa particularité la société grecque des années 1950. La vieille Anneto, dont la fille vit désormais en Angleterre, décide de s’offrir des vacances pour une année sur l’île de Paros, elle va donc sous-louer son appartement durant cette période… à un inconnu, Stratos, un jeune plombier.

Certaines liaisons extra-conjugales commencent à se former, la tension est vive dans la cour de l’immeuble, les rancunes tenaces. Devant cette atmosphère qui se dégrade toujours un peu plus, certains des habitants envisagent d’aller s’établir en Australie. En effet, toute herbe semble plus verte ailleurs.

Ce texte de Iàkovos KAMBANÈLLIS écrit en 1957 est très fort à bien des égards. Il est le condensé de l’esprit général d’un pays alors en souffrance, il transpire la Grèce (sans jeun de mots !) à chaque ligne. Fait de personnages puissants parfois charismatiques, dans sa simplicité même il relate de manière implacable la vie tumultueuse d’un quartier d’Athènes. Pièce de la fuite impossible puisque chaque être semble attaché à sa terre malgré les embûches et les envies de départs, elle est un instantané sociétal précis en seulement 150 pages. « Vous allez voir… Tôt ou tard, on devra remballer nos affaires et courir se réfugier ailleurs… Et quand on repassera par ici, notre vieille rue, on ne la reconnaîtra même plus… Il y a tout, ici, qui aura disparu… les chambres, les murets… même la terre qu’on a sous les pieds, ils l’auront déblayée et évacuée… ». En effet, un projet immobilier est en cours en lieu et place du vieux bâtiment.

Le constat est amer : à l’après-guerre il devient de plus en plus difficile de survivre en Grèce, les rêves d’exils sont nombreux, parfois surdimensionnés, inatteignables, mais ce sont ces rêves qui permettent d’avancer de jour en jour. Car le quotidien n’est pas rose : « Tu bosses trois jours, le quatrième tu dégages… On n’est même pas fichu de te garantir un toit pour vivre… Ne jamais savoir ce que tu vaux ni ce qui t’attend demain… Dans ce pays, on peut jamais se raccrocher à rien… Il y a tout qui bouge en fonction du vent… ». La fin est digne d’une grande tragédie grecque…

Les velléités de départ pour l’étranger vont s’accroître. Mais comment, pourquoi quitter un pays que somme toute on aime, dans sa souffrance comme dans sa démesure ? Pièce de l’échec national, des rêves échoués, elle est pourtant un hymne à la Grèce. Cet immeuble brûlant de vie mais pourtant prêt à être démoli pourrait représenter la chute du système politique grec. Car ce texte est profondément politique. Dix ans plus tard surviendra le coup d’Etat des généraux, entraînant la sinistre dictature des colonels.

Iàkovos KAMBANÈLLIS (1922-2011) est surtout connu pour « Mauthausen », son témoignage sur sa déportation en camp durant trois ans en pleine seconde guerre mondiale. Cependant, il fut très influent sur l’évolution du théâtre grec moderne. Dans cette pièce, il fait preuve de lucidité mais aussi d’humanité, son texte est limpide et le choix de cette cour d’immeuble judicieux. Il était déjà paru en 2015 dans un recueil intitulé « D’aventures en miracles, Panorama des écritures théâtrales de la Grèce moderne (1830-1957) ». Pour la première fois, en cette année 2022, il est disponible seul avec une couverture d’une vraie splendeur. Véritable petit bijou, il est magnifiquement préfacé par Sissy PAPATHANASSIOU, revenant avec force détails sur le parcours théâtral de l’auteur. L’introduction émouvante mais combative est signée de la main de Katérina, propre fille de Iàkovos KAMBANÈLLIS. Quant à la traduction, elle est assurée par Gilles DECORVET qui réalise une prouesse en nous rendant presque témoins directs de l’action en cours au pied d’un immeuble Athénien. Bravo à tout ce joli monde, et félicitations spéciales aux éditions L’espace d’un Instant, coupables revendiquées de ce nouveau et incontestable coup de maître. Ce texte de Iàkovos KAMBANÈLLIS est à lire, à relire et à retenir.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

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