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dimanche 19 juin 2022

Joseph ANDRAS « Pour vous combattre »

 


Le très talentueux Joseph ANDRAS est de retour pour ce nouveau et bref récit englobant les années révolutionnaires de 1793 à 1795 en France. L’objectif est pointé sur Camille DESMOULINS, 33 ans, député de la Seine, avocat picard, impliqué dans le front révolutionnaire. DESMOULINS, au cœur de l’orage, fait paraître un périodique, « Le Vieux Cordelier », c’est en quelque sorte ce journal qui est le héros malheureux et le fil rouge de ce roman.

Face à la flambée révolutionnaire, en Vendée et Bretagne s’organise une résistance royaliste et catholique, les Chouans qui, entre autres méfaits, saccagent et pillent Le Mans, alors que DESMOULINS se place (déjà !) pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Au passage, ANDRAS nous présente la figure d’Anacharsis CLOOTS, celui qui précisément « rêve d’une terre sans nulle nations ni religions ». Sur fond de guerre civile, les dissensions au sein du milieu révolutionnaire enflent, deviennent incontrôlables. Il règne un parfum d’insurrection au sein même des révolutionnaires. DESMOULINS s’exprime publiquement. Piètre orateur car bègue, il ne devient que méfiance aux yeux de ROBESPIERRE (lui fait-il trop d’ombre ?).

En parallèle perce très furtivement la figure d’un jeune militaire de 24 ans aux dents longues : Napoléon BONAPARTE. De son côté DESMOULINS s’engage et réclame la libération de 200 000 opposants au régime incarcérés. Il ne s’agirait pas de reproduire les erreurs de la monarchie déchue. Mais la tension devient extrême entre DESMOULINS et ROBESPIERRE, le beau-père du premier est arrêté, la grogne populaire s’étendant quant à elle devant la forte inflation.

ANDRAS semble admirer DESMOULINS, en fait une figure incontournable : « L’enfant de Picardie, l’homme qui convia les Parisiens à s’armer deux jours avant qu’ils ne prennent d’assaut la Bastille, l’homme qui appela les patriotes à porter la cocarde en forme de ralliement, l’homme qui signifia sa haine des rois et son désir de république quand le pays communiait au complet en la monarchie, l’homme qui le premier invoqua la liberté, l’égalité et la fraternité sans savoir, c’est l’évidence, que ces trois mots, liés de la sorte, connaîtraient quelque destin, l’homme qui, le jour de la capture du roi fuyard grimé en valet de chambre, lança en public que la royauté n’avait plus de raison d’être, l’homme un temps traqué par la flicaille, l’homme que l’on aperçut armé d’un fusil aux abords des Tuileries quand le trône s’effondra enfin, voici que cet homme s’élève à présent contre les âmes par trop zélées ».

Le Vieux Cordelier continue à paraître. Mais le numéro 7 est peu goûté par ROBESPIERRE qui y voit une attaque personnelle et le fait saisir avant parution. La censure révolutionnaire est en route. DESMOULINS vient de passer à l’offensive, ne défendant plus la politique de ROBESPIERRE. Ce dernier, épuisé, disparaît un mois durant, pour mieux revenir, vindicatif et autoritaire. Les têtes commencent à tomber, au sens propre (si j’ose dire).

Pourtant la Révolution engendre des idées novatrices : « L’assemblée a juré que les humains à la peau noire sont pareils à ceux qui ne l’ont pas. Que la couleur ne figure pas le citoyen. Que la France est identique pour chacun. C’est en ces murs, voici quelques mois, que la vieille Jeanne Odo, l’esclave de Port-au-Prince, est venue exiger l’abolition de l’esclavage au nom de l’unité qui fait la force et l’égalité de toutes les peaux. C’est en ces murs, les mêmes, que les révolutionnaires ont acclamé la délégation dont elle était la tête ».

Dans cette puissante et documentée intrusion dans l’Histoire de France, ANDRAS ne faiblit pas. Surdoué de la plume, il essore la langue pour n’en extraire que l’essentiel. Le résultat s’avère plus que concluant, un chapitre pour chaque numéro du Vieux Cordelier, l’idée est exaltante. Faut-il lire dans ce titre « Pour vous combattre » ou « Pour vous, combattre » ? Car ANDRAS est un combattant du verbe, l’un de ces altruistes qui ne mendie pas le succès, qui trace sa route de manière originale et engagée. Le présent récit pourrait se rapprocher d’un Eric VUILLARD, par sa forte documentation ainsi que par ce style ramassé. Pourtant ANDRAS va plus loin que VUILLARD, il déploie un drapeau rouge et noir au vent : « L’Histoire n’est jamais qu’une façon pour les puissants de continuer à faire les poches aux morts ». Il s’insurge, il EST un insurgé.

Ce texte qui vient tout juste de sortir est à lire, comme tous les précédents d’ANDRAS, véritable révolté contre l’injustice, qui fouille l’Histoire pour la rendre quasi contemporaine, accessible, tumultueuse et palpitante.

« Dénoncer l’échafaud, c’est seulement craindre d’y monter ; accuser le gouvernement de cruauté, c’est façon de voiler ses propres vices. Ne reste qu’à détruire tout ce qui s’oppose à la félicité du peuple ». ANDRAS creuse son sillon, devenant l’un de ces incontournables de la littérature française contemporaine.

 (Warren Bismuth)

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