« Dernier arrêt avant l’automne »
En mal d’inspiration depuis près de deux ans, un narrateur écrivain ressemblant diablement à un certain René FRÉGNI part seul se retirer dans un monastère abandonné au cœur des montagnes provençales. Notre écrivain va s’occuper, tout d’abord en redonnant vie à son environnement immédiat : débroussaillage, tonte, coupes diverses, etc. Un petit chat, à peine 3 mois, pointe son museau. La minuscule boule de poils va être la nouvelle compagne d’un narrateur en mode ermite. Elle sera baptisée Solex à cause de ses ronronnements résonnants comme un moteur. Moments apaisés durant lesquels le narrateur en profite pour dresser un historique de ce monastère avec les dates les plus marquantes.
Un indien, d’Inde pas des Amériques, vient effectuer des travaux au monastère. Première conversation de l’isolé sur son lieu de repli. Les souvenirs reviennent : l’enfance marseillaise, les bons et très mauvais moments passés dans la cité phocéenne en pleine jeunesse. À peine le temps de les évoquer que le nouvel ermite tombe sur une jambe humaine déterrée par des sangliers. Assassinat ? Sans aucun doute. Le narrateur prend peur, va se mettre à l’abri chez ses amis Pascal et Aline, des libraires.
Alors qu’une enquête se met en route, la fameuse jambe trouvée a disparu lorsque les gendarmes parviennent sur les lieux. Pourtant, le narrateur est certain de l’avoir laissée sur place une fois déterrée. Nouveau coup du sort, et cette fois-ci, il semble être soupçonné par la police.
Comme souvent chez FRÉGNI, tout va basculer, et pas toujours du bon côté. La suite s’annonce poisseuse et sombre. Oui mais il y a l’atmosphère Frégnienne, sorte de miracle permanent. Roman olfactif, sensuel, poétique, mais avec nombre d’aspérités, car FRÉGNI a du mal à garder sa plume tout en souplesse. Pourtant, dans ce roman, il ne s’insurge pas, il ne dénonce pas. Au contraire, il se fait tendresse dans un formidable exercice contemplatif. La nature, il la connaît par cœur, il en profite pour nous la faire partager, tout en ne manquant pas de rappeler le respect profond qu’il a pour elle. « Ni la télé ni le téléphone portable ne me manquaient. On ne m’accuserait pas de dévaster la planète par une débauche d’énergie ». D’ailleurs il ne sent pas du côté de l’Homme : « Nous avions surestimé l’homme. Nous avions eu raison de nous tromper… Tout n’était pas perdu, les plus beaux chemins qui s’ouvraient encore vers le rêve étaient bien dans l’écriture, sous la beauté mystérieuse des mots, la puissance de leur simplicité. N’était-ce pas ce que j’étais venu chercher, la splendeur des forêts et le silence de l’écriture ».
Ce roman se lit un peu comme un polar, mais avec beaucoup d’air, de verdure et de silence. Chez FRÉGNI, la réalité côtoie sans cesse la fiction. Ici, s’il précise bien avoir en effet passé neuf mois dans ce monastère, terré et isolé, il ajoute « Pendant des jours, j’ai écrit une histoire qui n’avait rien à voir avec ce que je venais de vivre, et cependant tout y était, les soirs d’été, la tiédeur des murs, la respiration des forêts, la peur, la lumière des saisons sur les toitures brûlées du monastère, le besoin d’aimer, la solitude, le visage des morts, l’or des jours qui s’éteint doucement ». Ce renoncement partiel à la vie sociétale lui aura grandement été une source formidable d’inspiration.
Roman proche du petit chef d’œuvre, bref et percutant, on en ressort avec les narines chargées d’odeurs et les yeux emplis d’images, c’est l’immense force de FRÉGNI : faire fonctionner les sens et laisser des traces. Ce livre est une sorte de perfection dans le style, et puisque l’été pointe son nez, ses pages vont devenir nécessaires. Écrit fin 2018, publié en 2019, il trottera longtemps dans ma tête.
« Carnets de prison ou l’oubli des rivières »
Dans ce court texte de quelques dizaines de pages écrit en septembre 2019, tout est contenu dès le titre. René FRÉGNI, en plus d’être écrivain (surtout romancier), a animé pendant 25 ans des ateliers dans les prisons les plus mal famées de Marseille. Dans ce récit, en quelque sorte il se raconte : la jeunesse avec son père emprisonné et le petit René qui découvre la littérature par la bouche de sa mère. Il voudrait devenir Edmond Dantès, le héros du « Comte de Monte Cristo ». Mais il voit plus tard les traits du héros d’Alexandre DUMAS dans ceux de son père lorsque ce dernier sort de prison.
Enfant très émotif, FRÉGNI a volé, chapardé, enfreint la loi, lui aussi il a couché au gnouf. Tout ceci il le raconte, avec ses mots, sa rage, ses phrases magnifiques. Lui, ce révolté solitaire en colère contre l’injustice, il sait se faire poète et tendre lorsqu’il marche en pleine nature, qu’il la raconte, qu’il l’aime comme on aime une maîtresse ou un amant. La nature et les phrases. « Quand j’écris, je cesse de vieillir ».
Il évoque les célèbres têtes politiques mortes pour leurs idées durant sa vie à lui, il se remémore ses lectures, les auteurs qui l’ont marqué à jamais, CAMUS, DOSTOÏEVSKI et bien sûr GIONO auquel il voue un véritable culte. Il revient sur ses six mois d’emprisonnement militaire pour désertion (il ne s’était pas présenté pour son service).
Les ateliers d’écriture en prison lui furent proposés après son tout premier roman. Se rappelant son passé tumultueux, il a accepté. Pour aider, faire voyager les prisonniers dans leur tête. Ses prisonniers qui sont loin d’être des enfants de cœur, certains très dangereux. Il n’oublie pas ce qui a amenés certains ici en France : la reconstruction du pays, les immeubles bâtis par leurs aïeux que les divers États français ont ensuite traités comme des chiens. Il n’est pas toujours tendre avec la délinquance des cités qui ne vise que le fric et le paraître par le trafic de drogue coupée, et pourtant il la comprend cette jeunesse, du moins il essaie, il en dresse de courts portraits émouvants. FRÉGNI est de ces révoltés humanistes taillés dans un roc sous lequel bat un cœur d’or. Alors il repart sur ses chemins, vers ses montagnes, c’est là que se rencontre la vraie vie.
« Personne ne naît monstrueux, on le devient sans s‘en rendre compte, la haine n’appelle que la haine. C’est la société qui est monstrueuse d’avoir créé des ghettos difformes et effrayants », et quelques lignes plus loin « Chaque matin je bois mon café et je pars sur des petites routes pleines d’ombre et de fraîcheur. Je traverse un ou deux hameaux, les dernières roses trémières se hissent sur la pointe des pieds pour regarder qui passe derrière le mur, elles ont leur beau visage de septembre ». C’est ceci FRÉGNI, une cohabitation réussie car savamment dosée entre la rébellion et la nature, le coup de poing dans la gueule et la beauté silencieuse. À plus de 70 ans il continue à arpenter les sentiers autour de Manosque chaque jour. Qu’il le fasse encore longtemps pour nous en ramener la sève. Superbe texte disponible contre une bouchée de pain.
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire