Ce petit recueil de sept nouvelles d’à peine 90 pages est un petit bijou d’humour et de délicatesse. Choix savamment pesé puisqu’il s’agit ici non seulement de nouvelles méconnues du grand Anton TCHEKHOV, mais de surcroît toutes animées du même thème plus ou moins diffus : Méfiez-vous des apparences !
Nouvelles écrites entre 1886 et 1889, elles nous montrent un TCHEKHOV facétieux, singulier, léger et faussement naïf, qui s’amuse à détourner temporairement l’attention de son lectorat pour le précipiter dans les dernières lignes vers une chute inattendue.
Dans ce recueil, nous allons tour à tour croiser un narrateur aux prises avec la peur, un vieil homme surgissant nuitamment dans un cimetière, une liste de visiteurs d’un conseiller d’Etat dont une signature mystérieuse revient régulièrement, un vent se faisant l’écho d’une déclaration d’amour, un voyageur par le train se croyant célèbre et vexé de ne jamais être reconnu, un mendiant à qui un bon samaritain propose des tâches rémunérées chez lui, enfin un prisonnier volontaire enfermé quinze années suite à un pari audacieux (et l’occasion pour TCHEKHOV de dénoncer la peine de mort).
Les deux premières nouvelles, gothiques, sont peut-être encore plus proches de celles de MAUPASSANT ayant trait au fantastique que toutes les autres de TCHEKHOV. Les deux écrivains, chacun fort de plusieurs centaines de contes et nouvelles, pouvaient être déjà comparés à bien des égards (stylistique, atmosphérique, d’une approche empathique ou moqueuse, mais se refusant à tout jugement de valeur), mais ici cette sororité paraît encore plus frappante.
Les cinq nouvelles suivantes passent du burlesque à l’inquiétude, d’un certain théâtre de boulevard à un climat plus intérieur, plus feutré, tout à la russe. Chaque chute est soignée, et si l’on rit c’est parfois avec une certaine culpabilité, tellement certains personnages, de par leur posture, leurs sentiments ou leurs pensées peuvent provoquer une sorte de pitié embarrassée au sein du lectorat.
Ce recueil savoureux est un plaisir de lecture. On y retrouve un TCHEKHOV pétillant et novateur, à la fois sobre et exubérant dans certains plans où il laisse agir en toute liberté son imagination débordante. 90 pages de pur bonheur, et cette joie de se gausser de ces situations grotesques ou tragiques. Sélection de grande qualité, traduite par Sophie BENECH, la directrice de ces mêmes éditions Interférences qui ne cessent de nous distiller à petites doses (voilà une maison qui ne fait pas dans la surenchère éditoriale !) des textes intelligents, audacieux car loin des chemins tout tracés. Les couvertures sont de toute beauté, et, vous l’aurez compris, le contenu inventif.
Ces mêmes éditions avaient sorti quelques jours avant la pandémie une biographie de TCHEKHOV par Korneï TCHOUKOVSKI. De ces mêmes éditions, je vous avais présenté il y a quelques mois l’excellent recueil de nouvelles « Faits divers » signées Léonid ANDREÏEV ainsi que plusieurs autres titres auparavant. Pour les puristes de TCHEKHOV, l’occasion de redécouvrir l’auteur par des textes originaux et assez loin de son travail habituel, pour les autres la chance de lire enfin cet écrivain par des nouvelles simples d’accès et véritablement jubilatoires. Recueil paru en début d’année dans la collection de domaine russe d’Interférences, il serait dommage de s’en priver.
http://www.editions-interferences.com/
(Warren Bismuth)
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