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mercredi 28 juin 2023

Kae TEMPEST « Qu’on leur donne le chaos / Let them eat chaos »

 


Le poème est épique, brutal, violent, chaque mot gifle, l’écriture est directe, percutante, on est comme abasourdis devant une telle rage. Des monologues se succèdent, ils sont sept, clamés simultanément par de jeunes gens quelque part dans Londres. Le système britannique, comme tous les systèmes politiques capitalistes, a échoué, et pourtant il continue à pleine vitesse dans le mur. La jeunesse est désarmée, presque incrédule devant la catastrophe en cours, alors il y a les palliatifs, drogue, alcool, le pouvoir des paradis artificiels. Car désastre écologique, car avenir compromis, bouché, car relations humaines détériorées par le virtuel, vendues, car le racisme, car la haine.

On ne croit plus en rien, alors on s’abrutit par des dérivatifs (« Je fais mes heures / pour gagner mes cachetons »), mais aussi par les selfies qui développent un peu plus un ego déjà surdimensionné. Texte en tous points vertigineux, il est un long cri de révolte, une poésie sociale et contemporaine dans laquelle ne sera fait aucun prisonnier, dans cet amas humain où le désespoir règne désormais en maître, guidé par la gentrification.

« L’Europe est perdue

L’Amérique perdue

Londres est perdue

Et on crie encore victoire.

 

C’est le règne du non-sens

Et nous n’avons rien appris de l’histoire.

 

Les gens sont morts de leur vivant

Étourdis par les lumières des rues.

Mais regarde comme la circulation continue ».

Ce poème sans concession, c’est pourtant un éditeur de théâtre qui l’a ressorti en 2022, peut-être parce que c’est une poésie qui peut se déclamer sur scène, être jouée. La version proposée ici est bilingue, pas en une mise en page du face à face habituel de deux langues, mais bien un texte français jusqu’à la moitié de l’ouvrage, que l’on retourne ensuite pour découvrir la version anglaise. Kae TEMPEST est une artiste britannique multiculturelle : poète, théâtreuse, rappeuse et romancière. Ce texte me paraît être parfait pour être lu des trois premières manières afin de faire passer le message (il est d’ailleurs précisé « Ce poème a été écrit pour être lu à voix haute »), il est aussi bref que brutal, traduit par Louise BARTLETT et D’ de KABAL, le travail de retranscription n’ayant pas dû être de tout repos. C’est une réédition, l’originale, toujours chez L’arche, étant parue en 2016.

https://www.arche-editeur.com/

 

(Warren Bismuth)

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