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mercredi 23 avril 2025

Jacques JOSSE « Au bar de l’oubli »

 


Situé en bord d’océan et « Bâti au milieu de nulle part », le bar de l’oubli semble être un phare, un dernier rempart, témoin du temps passé. Il est aussi le lien social de cette région bretonne rurale. Rendez-vous des solitaires, des ivrognes et des insomniaques, il est tenu par un patron féru de littérature, aux murs s’encadrent des portraits d’écrivains plus ou moins reconnus qui semblent observer les « lustreurs de zinc », sans jugement, plutôt dans un rôle d’anges gardiens.

Des écrivains disparus et pourtant toujours présents par leurs photographies, ils hantent les lieux. Si l’auteur ne les nomme pas, il est parfois possible de les reconnaître néanmoins, par une description, un détail. Car, comme souvent dans les textes du grand Jacques Josse, les morts jouent toujours un rôle, celui de témoins et protecteurs, alors que les gosiers en pente s’abreuvent sur un bord de comptoir, que les mégots s’accrochent à la vie et à la bouche, portraits saisissants et tendres de princes de la cuite, qui pour quelques minutes seront au centre d’une conversation. Ce sont ces anonymes qui sont les véritables personnages de l’œuvre de Jacques Josse.

Lui, l’auteur, toujours en retrait, toujours effacé, semble pourtant ici jouer des coudes et des épaules pour se faire une place, oh certes pas énorme, pas écrasante, mais une place de témoin à son tour, en quelques lignes, belles comme un champ de houblon : « Il lui expliqua que la salle était réservée pour une réception privée à laquelle participaient des gens résidant dans la péninsule, invités par un journaliste qui prenait plaisir à fouiner dans la vie des autres. Ne s’intéressant qu’aux solitaires, aux invisibles et aux désemparés, il avait à cœur de cerner leur parcours tortueux et de le remanier légèrement pour le proposer ensuite à ces lecteurs ». Mais chez Jacques Josse, rien n’est certain, tout est suggéré, ce journaliste pourrait fort bien ne pas être lui, ne même jamais avoir croisé son regard. Seul l’imagination crée le plausible ou le potentiel.

Quand soudain, l’actualité, la guerre paraît rattraper le quotidien, les habitudes, le rituel, le sens de la vie personnifié par ce bar de l’oubli, des scènes évoluant dans un espace-temps, comme l’écriture, resserré à son maximum. Texte dont il existe une première version de 2020, ici remanié (en effet, le décès en 2023 de Shane MacGowan, chanteur de The Pogues, est ici évoqué, la musique est d’ailleurs très présente dans l’œuvre de Jacques Josse), était déjà parue dans un recueil collectif. « Au bar de l’oubli » est accompagné de deux brefs textes, des instantanés, l’un se déroulant sur un chalutier (alors que nombre de ses textes s’arrêtent au rivage), l’autre dressant le portrait d’un photographe de bord d’océan qui, suite à une agression, ne se déplace que difficilement, ses photographies voyageant à sa place, faisant découvrir le monde aux curieux de tout poil.

Jacques Josse signe là trois textes où une fois de plus, chaque phrase est poncée, sculptée, jusqu’à ne laisser que l’essentiel, dans des textes visuels d’une grande beauté. À déguster en noir et blanc, comme la belle photo ornant la couverture de ce tout petit livre de 60 pages qui vient de paraître aux éditons Le Réalgar dont c’est ici la sixième – et fructueuse – collaboration avec Jacques Josse. Chaque volume, aussi mince soit-il, y a son importance, le tout formant comme un cycle où chaque séquence est complémentaire d’une autre. On peut en dire presque autant de la presque cinquantaine de livres de l’auteur publiés sur autant d’années.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

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