Le nouveau roman de Laurent Mauvignier, fort de 743 pages, est l’occasion rêvée de m’immiscer une fois de plus dans le challenge « Quatre saisons de pavés » du blog Au Milieu Des Livres, dont le principe est de chroniquer un livre d’au moins 500 pages au rythme des saisons. Voici donc (déjà) l’automne.
Laurent Mauvignier est peut-être mon auteur français contemporain préféré. Partant de ce constat, et aussi saugrenu ou contradictoire que cela puisse paraître, je serai moins élogieux, en tout cas plus mesuré que bon nombre de critiques que j’ai eu sous les yeux depuis la parution de ce nouveau roman, toutes pour le moins dithyrambiques.
En prenant sa propre famille comme cadre, Laurent Mauvignier se livre en disséquant, en exhumant et bien sûr et surtout en imaginant ce que fut la vie et les relations des générations passées, depuis le XIXe siècle. Étonnement tout d’abord quant au style : l’auteur se fait Balzacien, réécrit un roman du XIXe siècle y compris par le ton donné, si loin de son écriture, de son univers habituels.
Dans ce qu’il nomme une « catastrophe familiale », Laurent Mauvignier place d’abord en exergue une question primordiale à partir d’une de ses figures du XXe siècle : sa grand-mère Marguerite effacée tout bonnement du tableau de l’histoire familiale. Pourquoi ? Pour obtenir la réponse, il lui faut remonter le temps, jusqu’à sa mère à elle, Marie-Ernestine, l’arrière-grand-mère de l’auteur.
Marie-Ernestine est née religieusement, a connu le couvent où elle a appris le piano grâce à un homme. Elle a découvert un art inconnu de sa classe sociale. Marie-Ernestine grandit, jusqu’à son mariage forcé par son père. Ce sera Jules. Et là le style unique de Mauvignier entre en scène, quittant l’ambiance surannée du roman du XIXe siècle. Mauvignier redevient lui-même.
Cependant, tout n’est pas si fluide. Je pense à la nuit de noces de Marie-Ernestine, exagérément, démesurément étirée, avec ses grandes phrases qui finissent parfois par se mordre la queue, tandis que le bon Jules se met à titiller le goulot un peu trop avidement. De cette union naît la « fameuse » Marguerite, en 1913, possiblement d’un viol exercé par Jules, alors que la première guerre mondiale vient montrer ses baïonnettes. « Marie-Ernestine scrute la peau rougeâtre et les yeux gonflés de l’enfant ; elle pense à la souffrance de l’accouchement, à Jules et à sa proie, elle pense qu’en effet le bébé lui ressemble, à lui ; elle regarde l’enfant avec une dureté qui la surprend elle-même – maintenant la guerre peut commencer ». Celle de Jules se terminera pourtant bien vite puisqu’il mourra en 1916 sur le front. Cependant, son visage, sa silhouette posent pour l’éternité grâce à une statue le représentant sur le monument aux morts du village.
« La maison vide » est une chronique rurale s’étalant sur plusieurs générations, elle est ambitieuse, mais Mauvignier est peut-être tombé en partie dans le panneau de l’autofiction historique, pullulant actuellement chez nombre d’auteurs français (certes depuis pas mal d’années, mais le moins que l’on puisse dire est que ça ne s’arrange pas, chacun parlant de soi, des ancêtres et des héros ou antihéros de sa propre famille, avec parfois une impudeur frisant l’indécence, en des récits nombrilistes qui oublient tout simplement de s’ouvrir au monde, fin de la parenthèse). Il semble parfois empêtré entre données réelles personnelles et universelles. Exemple : de la tentative de suicide d'une aïeule puis du suicide de son père en 1983, l’auteur envisage, certes furtivement, une sorte d’hérédité dans ce geste, imaginant une potentialité, sans doute inconsciente, du suicide dans sa globalité comme un atavisme, voire une malédiction contre laquelle on ne peut lutter.
Plus c’est long plus c’est bon, à voir… Si « Histoires de la nuit », son roman précédent, flirtait allègrement avec le chef d’œuvre malgré ses 635 pages passant comme une averse glaciale, « La maison vide » souffre cruellement de longueurs, en tout cas pour tout admirateur de Mauvignier et dans sa première moitié. L’édifice entrepris pourrait être une compression de « La comédie humaine » de Balzac doublée de la saga des Rougon-Macquart de Zola pour le sujet de l’hérédité. Le résultat pourrait être à son tour un chef d’oeuvre. Pourtant, il manque ce je-ne-sais-quoi, ou plutôt il y a ce trop-plein de je-ne-sais-quoi, d’introspection à rebours, presque d’uchronie sous-jacente. Mais revenons à notre généalogie.
Marguerite, la fille (qui deviendra la grand-mère de Mauvignier), s’éprend de son père par-delà la mort, l’occasion pour l’auteur de nous rappeler à son immense talent, grâce à des images puissantes sur les gueules cassées, ces morts toujours en vie. Marguerite ne va pas tarder à rencontrer l’âme sœur, mais là encore le tragique s’installe à table, une gangrène semblant bouffer tout ce qu’il reste de sain dans la famille.
La clé du roman est sans doute dans ces quelques mots : « C’est parce que je ne sais rien ou presque de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure, à partir de faits vérifiés, de gens ayant existé, mais dont les histoires sont tellement lacunaires et impossibles à reconstituer qu’il faut leur créer un monde dans lequel, même fictif, ils auront chacun eu une existence ».
« La maison vide » est une fresque, celle d’une famille de campagne, comme tant d’autres, dans le feu des deux guerres mondiales, entre déchirures, secrets, honte et affrontements. Deux guerres qui dévastent les liens (comme dans de nombreuses familles, parfois lors d’autres guerres), qui créent l’animosité, la haine. En 83 chapitres d’étalant sur une cinquantaine d’années et un épilogue resserré, Laurent Mauvignier, par ses longues phrases noueuses, se fait le rapporteur du destin d’une famille, la sienne. Si le tout paraît parfois un brin indigeste par l’action qui stagne voire s’assoupit malgré la foultitude de détails, l’épilogue en partie axé sur l’épuration permet une très belle sortie pour un roman qui ne restera pourtant pas le meilleur de l’auteur, dont pourtant la quasi intégralité de l’œuvre est à découvrir urgemment. Il vient de paraître aux éditions de Minuit. Il montre peut-être l’essoufflement du sujet de l’autofiction historique dans le paysage littéraire français. Une nouvelle page est à écrire, les sujets ne manquent pas.
http://www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren Bismuth)
J'avoue n'avoir encore jamais lu Mauvignier... Je suis très tentée par son précédent et celui-ci malgré tes bémols. ça fait du bien d'ailleurs de lire un avis critique sur un livre encensé partout (peut-être justement parce que les titres sur la famille pullulent et ne sont pas au niveau littéraire de monsieur Mauvignier...)
RépondreSupprimerOui c'est vrai que le niveau littéraire est haut placé, mais pour une fois, il masque à mon sens un certain vide scénaristique. Quant à la plupart des autofictions françaises actuelles, c'est triste d'en arriver là, à ce surplus de nombrils alignés.
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