Mise à jour : cette chronique a été préparée il y a quelques semaines afin de paraître le 1er décembre. Or, vendredi 14 novembre, Michèle Audin nous a quittés. Cet article publié plus tôt que prévu initialement est donc un hommage au remarquable travail passionné d'historienne dont elle a fait preuve toute sa vie, je n'en change pas une ligne. Repose en paix.
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Tout commence par une photographie de Robert Doisneau, celle d’un lavoir de Ménilmontant à Paris, rue des Partants, prise quelque part au mitan du XXe siècle. On y voit des blanchisseuses s’affairer. L’occasion est trop belle pour Michèle Audin qui se plonge grâce à de nombreux documents d’archives dans l’histoire de ce quartier populaire, de 1848 à 1953.
Les blanchisseuses de Ménilmontant sont prétexte à digression, notamment sur les révoltes et les insurrections du quartier. Arrêt prolongé sur la Commune de Paris, dont Michèle Audin est une spécialiste, sur les figures de Eugène Varlin, Léo Frankel, Gustave Flourens notamment, non sans rappeler une première tentative de Commune en octobre 1870 sur les hauteurs de Belleville.
Dans un XXe arrondissement prolétaire et rebelle, la population est plus à même d’organiser des mouvements de contestation contre le pouvoir en place, y compris bien sûr par le truchement de la Commune, dont l’autrice extirpe une célèbre photo d’une barricade, qu’elle analyse minutieusement. La Commune, c’est aussi, toujours dans ce même quartier, le presbytère transformé en morgue.
Michèle Audin continue son exploration : faisons connaissance avec cet Alexis Trinquet, figure méconnue de la Commune de Paris, dont l’autrice nous dresse un portrait, celui d’un homme qui se dresse contre Léon Gambetta. Car l’histoire politique est aussi remémorée, patiemment, incluant quelques croustillantes anecdotes. Mais ce livre est aussi une topographie de Ménilmontant, une comparaison avant / après, entre XIXe siècle et monde contemporain.
Les faits divers les plus marquants du quartier sont évoqués, comme le premier accident du métro parisien en 1903, 84 morts, ou encore le quartier bombardé par un zeppelin allemand en 1916, pendant la première guerre mondiale.
Venons-en au recensement national de 1936. Là aussi Michèle Audin explore les archives et analyse les données. Elle pousse jusqu’à la seconde guerre mondiale et énumère les noms des riverains de Ménilmontant morts en déportation à Auschwitz, ou ses Résistants morts à la même période, toujours exécutés par l’ennemi. Là encore, le travail de recherche est conséquent. Petit clin d’œil à Madeleine Riffaud, qui a combattu dans ce quartier, la même Madeleine dont une fameuse saga est en cours en bande dessinée (le quatrième tome vient de paraître), cette Madeleine qui vient de nous quitter en 2025 à plus de 100 ans.
La visite se termine par un index des noms et lieux cités. Ce documentaire est original : il nous guide dans le Ménilmontant du passé, par son histoire, son quotidien, ses faits marquants, l’évolution de son architecture. Un petit livre très plaisant à parcourir, d’autant qu’ils se clôt par ce qui était le but premier : les blanchisseuses de la rue des Partants. Michèle Audin possède ce talent de nous faire nous intéresser à des bribes historiques que nous n’aurions peut-être pas connues sans elle. Et chaque fois ou presque, elle dévoile de nouvelles images de la Commune de Paris, et ceci est capital. « Rue des Partants » est une longue radiographie d’un Ménilmontant prolétaire en même temps que celle d’un monde englouti. Le livre est paru en 2024 aux toutes fraîches éditions Terres de Feu, nées durant l’été 2023.
« Les enfants pauvres sont pittoresques. Dans le tableau de Delacroix, vous savez, l’un d’eux guide le peuple, à égalité avec la liberté. Dans Victor Hugo, qui a inventé Gavroche. Dans les photographies du vingtième siècle. Ils font partie du décor : sur les photographies, les grands terrains vagues des fortifications seraient bien vides sans eux ».
https://editions-terresdefeu.com/
(Warren Bismuth)

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