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dimanche 24 mai 2020

Christos CHRYSSOPOULOS « Terre de colère »


Un roman bref, quelques dizaines de pages, et des dialogues, souvent à deux, en vis-à-vis ou pas. Toutes des situations du quotidien ayant comme thème la colère, la violence.

Des immigrés près d’une gare en hiver, ils attendent puis sont embarqués dans des véhicules comme on embarque des chiens errants. « Toujours silencieux, toujours immobiles, toujours des hommes jeunes, alignés. En rang. À attendre. Leur seul contact avec le monde extérieur est leur téléphone portable ».

Deux employées d’un centre d’appel, un collègue harceleur, réflexions sexistes, dégueulasses, l’homme est convoqué par le directeur général de l’entreprise. Fin de mission.

Des C.R.S. en état de légitime défense malgré la violence gratuite de leur geste – l’assassinat d’un jeune -, coup de feu, comme ça, sans même dire bonjour. En fond, la colère des opprimés immigrés héritée de génération en génération après que les aïeuls aient souffert eux aussi.

Un jeune type met le feu à des papiers sur un moment de colère, tout s’embrase autour de lui. Puis dialogue avec un conseiller pédagogique. Silence puis profond ressentiment du jeune. Pour ses parents, pour sa vie entière. Un mari et sa femme, violences conjugales, malheureusement tellement banales, homme tourmenteur et humiliant, femme réduite à être soumise. Pour éviter le pire.

Deux voyageurs dans un train puis une femme au téléphone. On n’entend que ses propres répliques, elles sont suffisantes, la dispute est violente et le mal profond. Intervention de l’auteur : « La colère dont on souffre le plus n’est pas celle que l’on subit, mais la sienne propre que l’on dirige contre les autres sans pouvoir la maîtriser. Et quand on est dans l’incapacité d’en affronter la cause, la seule solution, alors, est de faire en sorte que l’autre en face y soit sujet à son tour, qu’il soit mis sur le même plan que soi, et que le tort en revienne à chacun tout autant ».

Entre tous ces dialogues présentés comme de très brèves pièces de théâtre, des réflexions de l’auteur sur les raisons ou les éventuelles explications de la colère, de la violence de l’Homme. Dans ces parties l’écriture est posée et fluide, alors que dans les dialogues, les cris et les disputes, elle est empreinte d’une forte oralité prise sur le vif, comme si l’auteur avait lui-même été témoin de tous ces incidents (ce qui est d’ailleurs peut-être le cas). Les échanges sont crus, les mots grossiers frappent dans le bide, dans les mâchoires, sur les fesses de ces femmes persécutées.

À lire comme un témoignage écrit dans l’urgence, issu en direct de la brutalité ordinaire, potentiellement présente en tous lieux, à tout moment, inexorable et tellement sous-estimée. La magnifique traduction du grec est signée Anne-Laure BRISAC et donne une identité peut-être encore plus vive à ses dialogues, parfois de sourds. Livre paru dans la très belle collection Fictions d’Europe de chez la Contre Allée en 2015.

http://www.lacontreallee.com/

(Warren Bismuth)


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