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dimanche 7 novembre 2021

Guy de MAUPASSANT « Vive Mustapha ! »

 


Une facette de la vie de MAUPASSANT est injustement méconnue : ses quelques voyages au Maghreb. La première fois en Algérie et Tunisie de juillet à septembre 1881, puis fin 1887, avant d’y retourner durant l’hiver 1888/1889, et une ultime fois en septembre 1890. Comme tout bon écrivain qui se respecte, MAUPASSANT a pris des notes, a mis des mots, des phrases dans ce qu’il voit et perçoit dans ces lointains pays.

Plusieurs de ses livres évoquent ces voyages, dont « Au soleil » en 1884 ou « La vie errante » en 1890. Ce présent recueil de textes paru en 2020 aux éditions Allia est un choix d’articles écrits par MAUPASSANT lors de ses déplacements outre-Méditerranéens. Si le premier texte prend le ton et le format des célèbres nouvelles de l’écrivain, il n’en va pas de même pour le reste du recueil.

MAUPASSANT fut un très fin observateur des mœurs de son époque, et ces articles publiés en leur temps dans le journal « Le gaulois » ne font pas exception à la règle. Le romancier nouvelliste (mais aussi écrivain de théâtre, poète et journaliste) scrute, dissèque, jusqu’à obtenir un tableau qu’il espère fidèle, le plus précis possible de la réalité.

MAUPASSANT ne glorifie pas la France colonisatrice, au contraire il dénonce une colonisation mal gérée, humainement comme économiquement. Ils sont peu nombreux alors à se lever dans la métropole contre le pouvoir en place du côté de l’Algérie par exemple, il fustige l’administration avec violence : « Quels sont ces administrateurs ? Des colons ? Des gens élevés dans le pays, au courant de tous ses besoins ? Nullement ! Ce sont simplement les petits jeunes gens venus de Paris à la suite du vice-roi : les ratés de toutes les professions, ceux qui s’intitulent les ATTACHÉS des grandes administrations. Or, cette classe d’ATTACHÉS ou plutôt de déclassés ignorants et nuls est pire ici que partout ailleurs. On ne nous expédie que les tarés ».

Politiquement, même s’il ne défend pas à tout crin le colonisé, il est très critique envers le colon. En ce sens, il paraît assez précurseur chez les écrivains de renom. Mais ses yeux l’aident aussi à se délecter du spectacle en direct : le folklore local, les coutumes, les mentalités si éloignées de celles de la métropole, ce peuple qu’il semble admirer, envier peut-être, et même s’il ne l’idéalise pas, s’il refuse de le voir uniquement comme un peuple martyr, il le regarde vivre au jour le jour, que ces âmes soient ancrées ruralement ou sur les pentes d’Alger-la-blanche.

MAUPASSANT se plaît aussi dans les grands espaces devant les troupeaux, les paysages désertiques, secs, où la chaleur enivre, où le soleil assomme, où les ouragans désolent, où le nomadisme est une réalité, où l’eau est source de rivalités, de détestations, de violences, l’auteur est lucide sur les points principaux de divergence. Se dressant contre les pensées belliqueuses, il examine la ville de Tunis en 1888 sur fond de respect intact doublé d’une curiosité pétillante.

Au détour de deux tableaux, MAUPASSANT se fait grave et prophète : « Tout se borne à une guerre de maraudeurs et de pillards AFFAMÉS. Ils sont peu nombreux, mais hardis et désespérés comme des hommes poussés à bout. Mais comme le fanatisme s’en mêle, comme les marabouts travaillent sans repos la population, comme le gouvernement français semble accumuler les âneries, il se peut que cette simple révolte, insurrection religieuse avortée, devienne enfin une guerre générale que nous devrons surtout à notre  impéritie et à notre imprévoyance » (extrait de texte écrit en juillet 1881).

Si l’on connaît bien un MAUPASSANT très adroit dans ses plus de 300 nouvelles et ses quelques romans, l’homme engagé pacifiste et contestataire se levant contre le pouvoir et l’autorité nous est moins familier. Pourtant il a écrit de somptueuses pages  insurrectionnelles dans un récit comme « Les dimanches d’un bourgeois de Paris » par exemple.

Dans ces onze textes écrits pour la plupart lors de son voyage en 1881 (les deux derniers étant pour leur part rédigés en novembre et décembre 1888 lors du troisième séjour de l’auteur), MAUPASSANT est partagé entre colère sur le traitement des colonisés, fascination pour le paysage varié et quelque peu féerique, et un évident intérêt à voir évoluer chaque jour les autochtones. En à peine plus de 100 pages petit format, MAUPASSANT séduit au-delà du raisonnable. Il faut se pencher sur ces textes, loin de l’image d’Épinal de l’écrivain, loin d’un MAUPASSANT naïf ou charmeur, ils sont de toute beauté et nous renvoie un auteur fort préoccupé par son temps, trempant sa plume dans ses propres tripes. MAUPASSANT est un être libre aux multiples aspects, l’explorer est toujours un rayonnement ainsi qu’un apprentissage.

https://www.editions-allia.com/

(Warren Bismuth)

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