Embarquons dans une machine à remonter le temps, oh pas très loin, quelques décennies en arrière, au siècle numéro vingt, décennie 80. Le narrateur, comme rouvrant un vieux carnet poussiéreux d’une valise de grenier, voit réapparaître ses souvenirs sous forme de sentiments visuels, émotionnels, olfactifs. Il était alors un adolescent inexpérimenté sur la vie et ses vicissitudes, un jeune homme ignorant.
Le décor est planté : Villeneuve d’Ascq, département du Nord, alors que de nouveaux bâtiments poussent comme des champignons, emplissant les quartiers d’une certaine modernité. Cette ville et ses alentours renferment une bande de potes, des ados en quête de sensations, ces sensations qui leur donneraient un légitime droit d’entrée chez les adultes. Le parc du Héron, immense et agréable, représente la nature, la campagne conditionnée, la réalisation des interdits.
Romans des premières fois, il est à la fois une initiation et une expérimentation, le bien côtoyant le mal : premières cigarettes, premiers émois amoureux, première cuite, premiers frissons devant un décolleté, premiers magazines de charme, premières bastons, premières trouilles, premier bouton d’acné sur le pif, mais toujours pas de poil sous celui-ci. Cependant, il ne faut pas y voir un excès de nostalgie, bien au contraire.
Ce roman pourrait être un journal intime, où seuls subsistent les moments intenses, où tout le reste ne serait plus visible des radars. La mémoire a retenu ce copain, qui disparaît dans un parc public, l’occasion pour l’auteur de dévoiler quelques légendes urbaines de ces lieux de fantasmes. Dans ces souvenirs, il y a Pierre, le pote omnipotent, celui que l’on admire, que l’on écoute, que l’on suit, qu’on jalouse. « Il a dit que des fois il en avait marre de l’école et des devoirs et de se lever à l’aube pour poser son cul sur une chaise pendant des heures et qu’il avait souvent envie de tuer son père, un sacré gros connard qui passait son temps à l’insulter et à le traiter de feignant et de bon à rien sans que sa mère trouve rien d’autre à faire que de rire bêtement et que chaque fois c’était comme s’il lui jetait des seaux de feu à la gueule, et qu’il avait hâte d’avoir seize ans pour l’envoyer se faire foutre et s’engager dans l’armée ou je sais pas quoi et tout laisser en plan pour aller faire des stages de survie-commando dans la forêt et qu’on arrête de le faire chier avec les maths et tout ».
Et puis il y a ce besoin de braver le danger : les descentes de raidillons en skateboard, celles non moins périlleuses de verres de whisky. Retour de la douceur avec ces images qui font écho : le sac plastique en guise de luge, les flocons de neige chopés au vol et gobés comme de petites pilules, les mange-disques orange affamés du « Vertige de l’amour » de BASHUNG. Et évidemment, vissé dans le dos, l’indécrottable sac US, celui qui renferme alors toute une vie.
Dans une écriture parfois violente et fortement empreinte d’oralité, Julien DIEUDONNÉ fait revivre ses années 80, simplement. Il s’attache aux images fortes de sa jeunesse dans une autofiction intimiste qui ne s’autorise à quitter les murs de Villeneuve d’Ascq que pour se transporter sur les rives du parc du Héron. Un roman de l’enfance, sensitif, représentant un chapitre clos d’une vie en devenir. Ce bref récit de vie vient de sortir aux éditions Signes et Balises, une maison qui grandit !
https://www.signesetbalises.fr/
(Warren Bismuth)
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