Dans un village quelque part dans le monde, les habitants attendent anxieusement mais avec excitation l’envahisseur à venir, une famille s’y prépare même méthodiquement depuis longtemps. C’est elle que nous suivons, avec à sa tête un patriarche, Luca, entouré de sa fille, son fils ainsi qu’un personnage nébuleux, et bientôt un prisonnier...
Comme un fait inespéré, l’ennemi se profile à l’horizon. Le village va pouvoir se défendre, défendre ses terres, sa culture et en quelque sorte sa civilisation. Le peuple affame les chiens afin qu’ils se jettent sur l’adversaire jusque là invisible voire imaginaire. Le village attend ce combat depuis si longtemps ! « Nous sommes les derniers rescapés d’un monde disparu ».
La famille de Luca a été éduquée contre l’ennemi, quel qu’il soit, elle est donc prête à sauver sa peau. Mais tous ses membres n’en sont plus si sûrs et d’âpres discussions s’enclenchent alors que le fils semble être victime d’une crise de somnambulisme…
« L’invasion » est un très grand texte pour plusieurs raisons : l’auteur, malgré le ton intimiste, le rend universel. En effet, ces scènes pourraient se dérouler un peu partout sur terre. Mais l’espace temps, hormis un petit indice sur la lointaine première guerre mondial, n’est pas non plus précisé. Un message intemporel et omniscient pour dénoncer l’absurdité de la haine, de la guerre ou l’apprentissage d’une vie en se forgeant un ennemi coûte que coûte.
Au milieu d’histoires de saucisses, Hristo BOYTCHEV, né en 1950 en Bulgarie, dénonce les préjugés, la peur, propose une vision pacifiste du monde. Le prisonnier peut en être le porte-parole « parce que l’être humain se laisse influencer par les autres humains et si tous les humains sont adaptés à une chose et lui à une autre, il commence à se poser la question « Être ou ne pas être ». C’est toujours le cas avec les personnes instruites. Quelqu’un d’inculte ne s’adapte qu’une seule fois dans sa vie et, où qu’il aille, il reste un émigré… ».
Dans la préface, Jordan PLEVNEŠ convoque DOSTOÏEVSKI et BECKETT, cette pièce ne pouvait donc que me taper dans l’œil. Mais au-delà de cette subjectivité, son atmosphère est en effet fortement teintée de Beckettisme, dans son absurdité, par la force de ses images, dans son absence de but, en une caricature pathétique d’un monde fatigué. Car oui c’est BECKETT qui semble sortir du canon de fusil, avec son drapeau blanc à la main. La traduction du bulgare est assurée par Roumiana STANTCHEVA. Quant à son auteur, Hristo BOYTCHEV, outre ses textes théâtraux, il fut ingénieur, animateur télé et se présenta même aux élections présidentielles bulgares en 1996.
« L’invasion » fut écrite en 1983 et interdite par le régime communiste. Près de 40 ans plus tard, elle voit enfin le jour en version française, et c’est un véritable coup de maître. Cette pièce devrait être étudiée en cours tant elle résonne par son intimisme universel où chaque dialogue pourrait coller avec tellement de périodes historiques qu’il revêt un caractère incontournable, le genre de textes à dégainer en toutes circonstances et qui peut faire foi. Ce sont les éditions L’espace d’un Instant qui nous permettent de découvrir cette somptueuse pièce qui, j’espère, fera date. La moindre des choses est de se précipiter à toutes jambes chez son libraire préféré, la claque devrait s’avérer positivement porteuse.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
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