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dimanche 9 avril 2023

Ramzi CHOUKAIR « Y-Saidnaya + Palmyre, les bourreaux »

 


Il y a certains écrits qui semblent ne pouvoir vivre que par deux, comme un couple fusionnel. C’est le cas ici avec ces deux pièces de théâtre syriennes, deux textes qui, mieux que d’être complémentaires, se répondent dans un face à face.

La première pièce fut écrite en 2020 à Naples et est traduite par Simon DUBOIS. Saidnaya est une prison syrienne dans laquelle eurent lieu en 2008 de violentes et longues mutineries. Des femmes et des hommes, acteurs des événements, viennent témoigner. Des phrases parfois courtes, comme laconiques, qui giflent, qui retranscrivent toute la tension. Dans cette prison des tortures ont été commises, encouragées par l’homophobie et les lois ancestrales d’un pays à l’agonie. « Ce régime tue son peuple ».

Les témoignages sont bouleversants, racontent une banalisation du mal. Les victimes ont du mal à refaire surface, les tortures sont politiques, la marge de manœuvre de critique du système interne très ténue. Cette première pièce est aussi le résultat d’un travail : « En prison, on montait des pièces qui parlaient des gens à l’extérieur. En liberté, je parle de ceux qui sont encore en prison. Quel étrange destin… ».

« Palmyre, les bourreaux », traduite par l’auteur lui-même ainsi que Céline GRADIT, fut écrite en 2022 en France où Ramzi CHOUKAIR vit. Elle est l’autre versant de « Y-Saidnaya ». Si la première traite des informations, des témoignages sur le peuple emprisonné suite à des actions contre l’Etat, la seconde revient sur ceux qui ont opté pour l’exil. Les difficultés gigantesques pour retrouver un semblant d’intérêt à la vie, en faisant mine d’avoir oublié ses propres racines, en changeant d’identité, choisissant un patronyme qui sonne plus conventionnellement dans le pays hôte.

Le régime dictatorial syrien paraît avoir emprunté pas mal de « réflexes » autoritaires et humiliants du côté du nazisme. Ici les témoins parlent de l’extérieur, sur une autre terre où ils ont trouvé refuge, mais toujours les mêmes images, un régime exsangue, un peuple à bout, la misère, la corruption, et les familles qui se déchirent car tout le monde soupçonne son proche, son voisin, des êtres disparaissent, peut-être exécutés. Suite fataliste du première texte, ce second n’est cependant pas un calque mais un complément d’informations, y compris celle concernent le présent travail de l’auteur : « À ma sortie de prison, beaucoup de journalistes de télé, de radio et de presse écrite m’ont proposé de raconter mon histoire, mais j’ai refusé. Je n’avais pas envie de partager ma souffrance par l’intermédiaire d’un média. J’ai préféré venir la partager sur scène ».

D’un côté, les prisonniers dans leur propre pays, de l’autre des « évadés » prisonniers en liberté dans un pays inconnu. Deux pièces fortes qui se font écho, amenées par une préface expresse, sans ponctuation, comme pour montrer l’urgence qu’il y a à découvrir les deux textes, elle est signée Pascal RAMBERT. Quant à Ramzi CHOUKAIR, ce n’est pas un inconnu en France, car en plus d’être metteur en scène, il est aussi acteur et a notamment joué dans les saisons 2 et 3 de la série « Le bureau des légendes ». Pour finir, cette phrase, qui clôt la deuxième pièce : « Il souffle sur le lampadaire, qui s’éteint », laisse penseur.

Ce livre vient de sortir aux éditions l’espace d’un Instant, il est à encourager, comme d’ailleurs tout le catalogue de cet éditeur, à coup sûr l’un des plus originaux dans ce grand pays de France.

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

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