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mercredi 19 avril 2023

Manon THIÉRY « Réflecteur de la neige »

 


Il est de ces poésies devant lesquelles on ne pense pas avoir toutes les données, toutes les clés pour ouvrir toutes les portes (c’est d’ailleurs pourquoi je ne présente qu’assez peu de poésie que je lis, la peur de tomber à côté, d’être hors sujet). Et pourtant nous nous laissons bercés par le rythme des mots, leur puissance. C’est le cas pour ce texte de la jeune Manon THIÉRY.

 

Dans une mise en page aérée, quelques lignes à chaque page, la poétesse déroule lentement et délicatement sa pensée, de manière organisée. Ici ni majuscules ni ponctuation, chacun des mots doivent être au même niveau dans un jeu de pureté d’une langue épurée, ramassée, essorée.

 

Le fond est tragique, de ces amours non dits qui disparaissent. Quand ? Comment ? Aucun indice ne semble nous guider, dans un espoir mis entre parenthèses, dans des souvenirs douloureux qui paradoxalement font avancer la narratrice. Au centre du poème, la bouche, la langue, d’où sortent les mots, les maux passés, seule arme pour lutter contre la souffrance. Tentative de transition, de transmission peut-être. Et la neige, omniprésente, comme virginale, celle qui peut tout effacer. Un souvenir d’accouchement. Peut-être…

 

Poésie de la mélancolie et du souvenir, elle est aussi celle d’un nouveau départ qui tente de s’insuffler. C’est ici la fragilité de l’existence qui est en première ligne, son poids, énorme, dans une douleur incontrôlable, celle de l’absence. Et ce titre, prodigieux, avec ce « réflecteur », où la neige peut jouer plusieurs rôles, celui de la réflexion, mais aussi celui du reflet, du miroir, « l’autre côté du miroir / celui qui ne montre rien ».

 

Dès ce premier livre, et en un peu plus de 60 pages très aérées, Manon THIÉRY donne le la, dans une poésie musicale, construite et mélodieuse, envoûtante jusqu’à cette dernière ligne : « je ne reconnais pas mon sommeil ». Ce titre est paru fin 2020 chez Cheyne éditeur, dans la collection Prix de la vocation qui met en lumière dans une somptueuse couverture bleue de jeunes auteurs poètes jamais publiés. Cette collection est parfaite si vous souhaitez découvrir une nouvelle plume, si vous désirez partir loin des sentiers balisés. Allez voir le catalogue, il est plus que tentant. D’autant qu’un livre Cheyne est toujours une immense émotion visuelle, avec cet esthétisme fait maison et particulièrement soigné, l’un des géants de la poésie française qui imprime lui-même ses livres, et a su développer des collections originales, riches et cohérentes. Respect total.

https://www.cheyne-editeur.com/

(Warren Bismuth)

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