Deux pièces ukrainiennes sont rassemblées ici, deux petits bijoux de l’autrice Natalka VOROJBYT, elle-même ukrainienne. La première tout d’abord, brève. Oksana est une jeune femme prête à accoucher. Sa mère est à ses côtés, le mari de cette dernière (et beau-père d’Oksana) est décédé. Pourtant un dialogue à trois s’amorce, les deux femmes convoquant le défunt, par ailleurs ancien officier ivrogne. Un an plus tard, sur sa tombe, les deux femmes reviennent lui rendre visite, Okasna est à nouveau enceinte. Dans de brèves scénettes fortement imprégnées de l’esprit de Nikolaï GOGOL (lui-même ukrainien), mais avec une forte teinte politique, le texte finit par entrer en résonance avec l’actualité (mais écrit en 2015, au lendemain des événements de Maïdan), se clôturant en 2014 à Kyïv (Kiev). Ou comment passer de l’intimiste au global avec pertinence.
N’ayons pas peur des mots, « Le dépôt de grain » est un petit chef d’œuvre. De format bien plus long que la pièce précédente, celle-ci met en scène de nombreux personnages. Pièce ambitieuse, elle a pour but de raconter en 100 pages l’Holodomor, la famine majeure survenue en 1933 en Ukraine sur orchestration machiavélique du camarade STALINE. Après une scène en 1926, l’histoire se déroule entre 1931 et 1933 en Ukraine. Début des kolkhozes de masse, et débuts des désaccords entre les paysans, les pros et les anti, tensions exacerbées par le sujet de la religion : « Au nom du pouvoir soviétique, sauvons le peuple de l’oppression religieuse. Transformons les églises en dépôts de grain. Donnons à l’État les cloches de cuivre. Recevons en échange les tracteurs et autres équipements ! ».
Les plus rétifs à la collectivisation vont le payer cher, très cher. Par des scènes figuratives, l’autrice met en scène des paysans tiraillés, y compris au sein des familles, entre la volonté de rester indépendants et crever à petit feu, ou celle de rentrer dans le rang en se soumettant à l’ogre soviétique, sans aucun gage de stabilité ni d’avenir. L’Holodomor est un événement majeur de l’histoire soviétique, la plus grande exécution de masse ordonnée par STALINE affamant toute une population. Dans cette pièce, Natalka VOROJBYT permet de reconstituer les faits, les scènes. La propagande stalinienne est partout. Soucieuse de coller au plus près aux outils de communication en vogue, elle s’installe dans le cinéma.
Certaines séquences sont dures, mais nécessaires pour bien rendre compte de la velléité génocidaire. « Et le chien n’a pas aboyé. (Se souvenant) Ah, oui, nous l’avons mangé à l’automne ». Tout comme on a fini par manger le chaume des toits des habitations. « Le dépôt de grain » est d’une grande force, n’oubliant pas les traits d’humour pourtant difficiles à glisser devant un tel sujet. Natalka VOROJBYT construit son texte de manière patiente, sans faux-semblants ni trémolos, peut-être pour aller encore plus droit au cœur. Car le fond de cette pièce gifle, il réveille une extermination trop longtemps cachée. Écrit en 2009 sur des événements de 1933, il fait écho (indirectement bien sûr) en partie à l’actualité et un peuple ukrainien toujours pas reconnu comme tel par le pouvoir russe.
Le livre est d’une grande pertinence et d’une profonde acuité. Les deux pièces semblent comme antipodiques, et pourtant elles se rejoignent dans l’horreur, la guerre, le balbutiement de l’Histoire. Elles sont deux petites pièces d’orfèvrerie, chaque élément se trouvant au plus juste. Elles sont aussi une manière originale de raconter l’Histoire ukrainienne par les ukrainiens eux-mêmes. L’ouvrage, traduit de l’ukrainien par Iryna DMYTRYCHYN, vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant, il est parfait pour découvrir le catalogue de cette maison s’il vous est encore inconnu à ce jour. Une maison à soutenir, à relayer, et ce livre prouve une fois de plus la grande qualité de la ligne éditoriale. Une pièce de la même autrice, « Mauvaises routes » était déjà parue au catalogue en 2022, je vous l’avais présentée en son temps. Tiens, je n’ai même pas dit à quel point je trouve la couverture magnifique, mais la place me manque.
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(Warren Bismuth)
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