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dimanche 30 juin 2024

Jean MECKERT « Les coups »

 


Le présent ouvrage est chroniqué dans le cadre d’une lecture commune ce jour pour le challenge 2024 du blog Book’ing consacré au « Monde ouvrier & les mondes du travail » dont voici le lien :

https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2024/01/2024-lire-sur-le-monde-ouvrier-les.html

Félix le narrateur a 25 ans. Après avoir exercé plusieurs petits boulots dans une jeunesse misérable et tâté du chômage, il travaille dans un garage automobile où il s’entiche de la secrétaire Paulette, pourtant mariée. Mais le couple de Paulette pourrait bien être bringuebalant, alors Félix met le paquet pour s’approprier la dame… et y parvient ! Oui mais voilà, loin d’être une partie de plaisir, la relation s’avère épuisante, notamment par la présence de la belle-mère, rombière mesquine, d’autant que la mort ancienne du père de Paulette provoque soudain des rumeurs…

Félix est un idéaliste qui cherche sa place dans la société. Et qui ne la trouve pas. D’autant que son métier ne le transporte pas. « Pas moyen de garder quelque chose de propre. Travail en casquette ou en béret pour éviter un peu l’envahissement de la poussière métallique insidieuse et tenace tout comme une ypérite. Avec de grosses lunettes naturellement, fermées partout pour ne pas en prendre des paquets dans les mirettes ».

Félix est un ouvrier non instruit, qui déteste la supériorité affichée des gens plus savants. Il souffre de ce sentiment de médiocrité. La rage monte en lui, il devient violent, Paulette en fait les frais. Félix, pourtant si pacifiste politiquement, socialement, et qui tente de se rapprocher de la doctrine communiste malgré son fort individualisme, se met à la battre. Car « Les coups » est aussi un roman politique et social, en plus d’être une étude de moeurs, un roman d’amour et un roman du prolétariat, et même si dans ce roman, les fonctions de Félix dans un garage automobile ne sont qu’évoquées, elles provoquent tout le reste, le déclin.

Meckert (1910-1995) n’était pas un écrivain prolétaire, mais plutôt un auteur du prolétariat, pour le prolétariat. Il était aussi celui de la jalousie, celle qui rend fou : « On s’amollit à fouiller son passé. On se taraude les bases. On prépare le vermoulu, le raffinement, la ruine. J’aime mieux ne pas insister ». Car Félix est un impulsif, il sait que certains éléments du passé de Paulette vont le rendre violent et cruel. Félix n’a pas confiance en lui-même, ce manque d’instruction, toujours. « Il m’a toujours manqué une éducation ».

Le prodige de ce roman en est l’utilisation de la langue. Meckert l’a choisie verte, argotique, populaire, celle venant des rues comme son anti-héros Félix. Et le tout fonctionne sans fausse note. L’argot pourtant soutenu ne perd pas un instant de sa puissance, de sa vivacité, dans un roman dépeignant une violence psychologique et physique inouïe et pouvant de fait mettre mal à l’aise, mais la racontant avec des mots imagés, colorés, qui font passer le message, en adoucissent la forme, qui le rendent presque poétique : « Ça hurle, ça étourdit, ça déconstipe le porte-monnaie. On oublie, on vit trop, à croire que le fleuve d’oubli roulait du gros qui tâche ».

« Les coups » est indéniablement un exercice de style d’un auteur engagé, anarchiste, qui bouscule les conventions, qui témoigne des secrets d’entre quatre murs. Pari risqué, osé. Mais le roman fut très bien accueilli à sa sortie en décembre 1941. C’était le tout premier d’un écrivain en gestation qui explosait tout à coup. Livre se frottant sans protection à de nombreux sujets, de nombreux tabous, il est choquant par sa nudité, et pourtant il sait rester pudique. Sacré tour de force de l’auteur qui ne sombre jamais dans le « trop », qui mesure ses quantités, ainsi quand le récipient commence à déborder d’un côté, Meckert use à la perfection de la vieille pratique des vases communicants.

Malgré son aspect suranné qui s’encre pleinement dans son temps, « Les coups » est, sur les sujets mêmes qu’il aborde, un roman moderne sur la violence conjugale, à l’époque honteusement cachée, jamais discutée. Ce n’est que récemment que le voile fut soulevé.

 (Warren Bismuth)





6 commentaires:

  1. Des Livres Rances1 juillet 2024 à 00:11

    Pour aller plus loin :

    https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2024/07/les-coups-jean-meckert.html?m=1

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  2. Un grand merci pour cette lecture commune ! J'ai retrouvé dans ce titre ce qui m'avait tant plu dans La marche au canon, cette écriture énergique et gouailleuse qui rend la lecture si "plaisante" malgré la noirceur du propos.

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    1. Des Livres Rances2 juillet 2024 à 11:24

      Merci à toi pour l'invitation. J'ai du mal à lâcher Meckert, je continue à explorer son œuvre et j'ai entrepris un long cycle sur le blog. À suivre donc....

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    2. Comme je viens de le préciser en réponse au commentaire que tu as laissé chez moi, je compte lire "Je suis un monstre". A voir s'il répond à la thématique d'août des Classiques de Moka et Fanny. Si ça te dis..

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    3. Des Livres Rances2 juillet 2024 à 12:28

      Je l'ai lu récemment mais n'en ferai pas de chronique car je ne souhaite pas trop surcharger le blog et déjà plusieurs billets sur l'auteur sont prêts jusqu'à la fin de l'année (oui tu as bien lu !). Mais il entre parfaitement dans la thématique d'août (pour laquelle ma chronique est d'ailleurs déjà prête). Donc n'hésite pas à le lire dans cette optique !

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    4. Merci pour la précision, je bloque donc ce titre pour la fin août.. moi qui suis toujours à courir après mes chroniques, je t'envie d'en avoir ainsi d'avance !! Je suis impatiente de lire tes futurs billets sur Meckert.

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