Une biographie de fin de vie, un format
plutôt vendeur ces temps-ci. Faut dire que certains récits sont addictifs. Ici
Vénus KHOURY-GHATA, après de très nombreux livres parus, propose
« sa » biographie du poète russe Ossip MANDELSTAM, ce qui tombe à pic
puisque je n’ai jamais lu ce poète, et certains éléments disparates sur sa vie
m’avaient déjà un brin interpellé.
Pour ce juif d’origine lettone, tout le
malheur part en quelque sorte en 1933 d’un poème contre STALINE intitulé « Le
montagnard du Kremlin » ou « L’épigramme contre Staline », poème
que le moustachu en haut de la pyramide goûte peu. Arrestation en 1934 puis
déportation pour MANDELSTAM. Puis tout se précipite. Une rapide et vertigineuse
descente aux enfers : interdiction de publier voire d’écrire, tentative de
suicide, exil, libération. Arrêté à nouveau en 1938, chez lui, une santé
chancelante sert de prétexte à ceux qui viennent le chercher, un chemin de
croix qui ne semble jamais vouloir prendre fin.
Jusqu’au bout il va être soutenu par sa
femme, l’infatigable Nadejda. Il n’a plus le droit d’écrire, peu importe :
il va lui apprendre par cœur ses poèmes qu’elle va ensuite distiller à la
population parfois par écrit, parfois les faire retenir par d’autres. Le poète
Boris PASTERNAK est aussi un ami sûr et proche, mais sa femme ne supporte pas
MANDELSTAM. Anna AKHMATOVA, une fidèle également (« Elle a brûlé ses poèmes depuis qu’il est en prison »). Marina TSVETAÏEVA (qu’il aime d’amour, bien que la
réciproque ne soit pas vraie), une fois de plus. Les poèmes circulent pourtant,
clandestinement. « La nuit,
Mandelstam courait vers une imprimerie qui publiait ses poèmes. Poèmes échangés
contre du pain, des cigarettes et parfois une bouteille de vin ukrainien ».
Tout part à vau-l’eau pour les poètes sous le stalinisme triomphant :
« Maïakovski parlant de suicide
n’était pas écouté non plus », alors que « Intransigeant, Mandelstam lassait ses amis par ses demandes d’argent et
par ses menaces de suicide ».
De juif, Ossip va se faire chrétien. Mais
son avenir semble toujours bouché. Oh, pas que le sien d’ailleurs, mais celui
de toute une masse de russes, de soviétiques comme on dit, poussés à la mort
d’une manière ou d’une autre, les purges commencent à être mises en place.
« Qu’ils soient ouvriers,
intellectuels ou paysans, il nourrissent la même haine pour le tyran qui a
détruit trois générations ».
Vénus KHOURY-GHATA va passer à la loupe
mais brièvement – sur un peu plus de 100 pages - l’année 1938, la dernière pour
MANDELSTAM qui na va pas tarder à rejoindre une fosse commune (il mourra le 27
décembre de cette année noire). Juste avant, il va connaître la folie, les
hallucinations, il verra STALINE partout, jusque dans son propre miroir. Il
finira par refuser de se regarder dedans. Il aura connu la misère (des bottes
taillées dans une valise de belle-maman pour combattre le froid, cette
belle-maman qui veillera sur lui quand Nadejda devra s’absenter). Il aura connu
la pseudo maison de repos pour écrivains malades : Samatikha, une
catastrophe intégrale !
Malheureusement, le sort de MANDELSTAM est
loin d’être hors du commun dans une U.R.S.S. stalinienne qui traque et fusille
les possibles dissidents ou contre-révolutionnaires, avec un soin tout particulier
pour les écrivains.
Ce petit livre ne se veut pas une biographie
complète mais plutôt un premier palier pour un lectorat qui souhaiterait se
familiariser avec ce poète mort à 47 ans après une fin de vie pathétique. C’est
très bien écrit, très bien raconté et très bien rendu. Nous reparlerons
d’ailleurs de cette auteure qui vient de sortir une biographie de Marina TSVETAÏEVA,
excusez du peu. Sorti chez Mercure de France en 2016.
(Warren Bismuth)
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