Anna est dans une phase de vie assez mouvementée et peu joyeuse : sa mère en Ehpad, en fauteuil roulant suite à une mauvaise chute, une fille de 12 ans en crise pré-adolescente, des amis envahissants. Avec son mari Ronald, ils vont se ressourcer du côté de Bordeaux, invités par des proches.
J’oubliais : Anna est autrice et souhaiterait boucler son nouveau livre. Seulement, les bruits, les interruptions, les sollicitations, les soucis à régler voire les drames empêchent la concentration requise. Ce qui nous ramène en partie vers le superbe roman « Le répondeur » de Luc BLANVILLAIN également sorti en 2020 chez Quidam.
Anna la narratrice, c’est bien sûr Anna DUBOSC. Elle déroule le film de sa vie au moment où elle entreprend l’écriture d’un roman, elle manie l’humour décalé dans une écriture orale. Ce sont des lettres, de vieux papiers jaunis ou des missives bien actuelles, qui vont guider la trame.
En fait le récit dérive, devient livre dans le livre. De la difficulté à écrire au quotidien face aux échanges, sur les personnages du roman par exemple, l’autrice oublie son idée de départ et se laisse porter par des sortes d’improvisations se tissant autour de ses difficultés ou simples émotions quotidiennes. « Je me gare toujours super loin de ma destination, c’est Vincent qui me l’a fait remarquer. Ça doit être lié au resserrement de ma vie. Il faut que je marche, il faut que je fasse quelques pas. C’est comme si j’écartais les murs du temps pour me faufiler dans l’instant ».
Échanges de SMS avec un ami sur la place de la littérature dans une vie, et tout à coup le récit se prolonge, s’auto-questionne, fait face à un miroir, le texte tente de se répondre à lui-même tout en y superposant les gestions d’une mère, d’une femme au jour le jour. Le style est alerte, vif, une succession d’images brèves donnant une sensation de visionner un documentaire en vitesse accélérée. Récit moderne, coloré, tonique, il met en lumière le fait que parfois l’écrivain est doublé par son propre projet, il enfante des phrases non prévues, absentes du cahier des charges.
« Je me relis plusieurs fois à voix haute. C’est ma voix qui sait si ça marche ou pas. Au moindre doute, je coupe. Tout doit se tenir sans dépasser. C’est une question de respiration, de survie de l’écriture. Quand j’ai fini d’élaguer, j’insère un saut de page. Je déteste commencer un nouveau chapitre. C’est comme entamer un puzzle de deux milles pièces, sauf que je n’ai même pas les pièces sous les yeux. À moi de me démerder pour les trouver et de faire le tri. Et rien ne me garantit du résultat. J’ai beau connaître ce sentiment par cœur et vivre avec depuis quinze ans, je trouve ça toujours aussi atroce ».
Un texte original, comme écrit en direct, au moment où les pensées surgissent, ou le clavier devient incontrôlable, il vient enfin de sortir chez Quidam après un retard dû à la crise sanitaire.
(Warren Bismuth)
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