Deux pièces contemporaines du grec Andrèas FLOURÀKIS viennent de paraître aux éditions L’espace d’un Instant. Différentes dans leur structure, elle tentent à représenter pourtant le même constat : l’effondrement d’un pays qui pourrait bien être la Grèce.
« Je veux un pays » est une longue conversation de phrases brèves scandées par des personnages indéterminés, anonymes, phrases qui pourraient n’en former qu’une seule, tel un long poème désenchanté où l’espoir tente pourtant de surnager. Les lieux et l’époque semblent eux aussi indéterminés même si nous finirons par apprendre qu’il s’agit de la Grèce d’aujourd’hui. Cette pièce pourrait être rangée dans une sorte de théâtre de l’absurde, non loin de BECKETT, même si le ton peut y être plus dur :
« - Ceux qui ont des sentiments forts doivent survivre.
- Les sentiments nous rendent vulnérables.
- Sensibles.
- Mollassons ».
Les protagonistes au nombre incertain ont pour projet de quitter le pays, considéré comme défunt, par les voies maritimes, en une suite de questionnements et parfois d’hébétudes, espérant même par moments une guerre qui réglerait tous leurs problèmes. Les gens rêvent d’un monde meilleur, ailleurs, mais existe-t-il ?
« Exercices pour genoux solides » est une suite de courtes séquences (35 au total) dans lesquelles discutent quatre personnages, pas toujours ensemble par ailleurs. Comme pour la pièce précédente, ils sont anonymes, ne représentent rien sinon des pensées, des convictions, des états d’esprits, mais aussi des constats. L’espace lieu est restreint, pour une réflexion sur le monde du travail, corrompu, où des individus sont forcés à se faire la guerre pour sauvegarder leur emploi, à n’importe quel prix. Et puis il y a le nationalisme, le fascisme, ici personnalisé par un jeune homme. On pense bien sûr au parti grec d’extrême droite Aube dorée, proche des néonazis. La pièce met en scène les rapports familiaux et humains, devenus tendus et comme inextricablement complexes.
Théâtre de l’anonymat et de la recherche de la liberté, ces deux pièces savent se faire violentes, comme peut être violente la Grèce, comme a pu se faire violente la crise économique dans ce pays qui est loin d’avoir été épargné. L’exode migratoire dont la Grèce est aujourd’hui l’un des hauts lieux entraîne nationalisme exacerbé et repli sur soi, ces pièces en parlent aussi. La première sur le désir de quitter le pays, la seconde sur celui d’y entrer pour ceux qui vivent un quotidien encore pire ailleurs, et la volonté de certains fachos d’interdire l’accès aux frontières aux étrangers. Plusieurs mondes qui ont du mal à dialoguer.
Le théâtre de FLOURÀKIS est engagé, social, politique, humaniste, mais aussi violent tout en sachant dosé l’humour, ces deux pièces viennent de paraître aux éditions L’espace d’un Instant, qui nous régalent encore de leurs choix judicieux pour un théâtre contemporain particulièrement engagé, dans une ligne éditoriale très prononcée, très identifiée, fidèle et particulièrement efficace. L’espace d’un Instant est l’une de ces maisons indépendantes passionnées qui propose du qualificatif à intervalles réguliers, pour des pièces qui toujours, en plus de tenir la route, nous permettent ici d’apprendre des tas de choses sur les pays dont les écrivains sont issus.
Ces deux pièces sont traduites par Hélène ZERVAS et Michel VOLKOVITCH et datent originellement de 2013.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
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