Didier DAENINCKX est très en colère et le fait partager. L’homme aux « 10000 pages publiées », l’écrivain natif de Seine-Saint-Denis et ayant vécu une grande partie de sa vie à Aubervilliers (même département), va devoir déménager. Ceci est pour le préambule, il va ensuite se mettre à table et justifier son choix. Enfin, un choix qui n’en est pas vraiment un.
Comme bien d’autres, DAENINCKX a assisté à la déliquescence d’un système de gestion, à un abandon de l’humain au profit du profit. Mais la véritable et vertigineuse chute, il la voit en mars 2014 lors des élections municipales (il en avait déjà fait état en 2014 justement dans son offensif roman-documentaire « Retour à Béziers »). De plus en plus de voyous au CV de délinquants long comme le bras se présentent sur les listes électorales, la communication est une sorte de pantalonnade grotesque dans une ville ouvrière de 90000 habitants dans laquelle une infime partie des citoyens votent. La fonction politique en tant que vocation tombe aux oubliettes, laissant place aux dents qui rayent le parquet, aux coups bas et au spectacle. Place à l’escroquerie organisée et aux connivences.
Dans ces banlieues abandonnées, l’islamisme radical a posé ses jalons, y compris au sein de la politique locale. DAENINCKX observe cette évolution au cœur de la Seine-Saint-Denis, puis revient sur les événements du 17 octobre 1961 où des centaines d’algériens furent jetés dans la Seine en fin de manifestation, un tragique fait divers qui a marqué l’auteur à jamais, DAENINCKX a beaucoup milité et écrit afin que cette date reste dans les mémoires (voir notamment son superbe « Meurtres pour mémoires » qui le rendra célèbre en 1984).
Avec cet auteur, on est toujours plongé au cœur de l’Histoire, ses récits abondent d’anecdotes franchement instructives, posées là au milieu d’un paragraphe, diversion nécessaire pour apprendre et parfois souffler si le fond est trop âpre. Alors on glane, comme ceci par exemple : « L’Algérie aussi occupait une place de choix à une époque où l’on prenait soin de placer le mot travailleur avant immigré. Lors de la réorganisation administrative de l’Île-de-France au milieu des années 1960, la Seine-Saint-Denis avait d’ailleurs hérité du fameux numéro « 93 » que portait jusqu’à l’Indépendance le département algérien de Constantine... ».
DAENINCKX semble désillusionné, éreinté par son combat d’une vie, lui qui se proclame de très jolie manière « éveilleur de mémoire » n’en peut plus des violences autour de sa zone de vie, que ce soit sur fond de trafic de drogue, ou bien d’intimidations gratuites et disparition du « tous ensemble », DAENINCKX jette l’éponge, du moins il déménage, le cœur déchiré. Oh, il ne va pas bien loin : du « 93 » il rejoint le « 94 ». Mais pour lui c’est tout un symbole, une fuite inexorable.
Ce texte brutal, lucide et salutaire est sorti en 2020 dans la collection Tracts de chez Gallimard, une collection un peu fourre-tout sur l’engagement politique ou social, mais dans laquelle on retrouve par exemple les noms d’Erri de LUCA et autres René FREGNI. DAENINCKX a parfois du mal à tenir le rythme dans ses textes, les plus longs pouvant s’avérer pénibles voire caricaturaux. Ici, et comme dans la plupart de ses nouvelles et de ses récits brefs, il met les poings sur les « i », et c’est dans ce registre qu’il brille avec le plus de force.
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire