Françoise, issue d’une famille nombreuse et croyante, est un jour tombée amoureuse d’un type de 27 ans son aîné, Paul, dit le lézard. C’était il y a une éternité. Lui artiste peintre, peut-être un peu de talent, mais violent. Elle, paumée, à la recherche de son identité, de son idéal masculin. Tout avait alors commencé après une peinture ratée de coquelicots. Beaucoup de ratés vont suivre dans ce couple qui a ouvert une boutique pour les œuvres de Paul, dans une ancienne boucherie.
Avant, c’était lui qui tapait sur Françoise, avec férocité, acharnement, comme à la recherche d’un défouloir. Aujourd’hui c’est l’inverse. Le Paul, tout branlant du haut de son grand âge, et la Françoise qui regarde dans le rétroviseur et s’épouvante. Même le présent semble foiré, avec ces toiles qui ne se vendent pas, et les souris qui courent sur le plancher de la boutique. La rancune, la haine, l’épuisement, tout se télescope. « Un bon coup de carabine, et un jour j’aurai ta peau ».
Françoise, de plus en plus aigrie et autocentrée, pense beaucoup au passé, celui d’avant la rencontre avec Paul, les errances, les histoires d’amour sans lendemain. Aujourd’hui, l’amour n’est plus, mais les errances continuent et même se succèdent. Plus l’envie, plus l’énergie, et puis les actualités, suffocantes elles aussi, « Les humains s’unissent pour nuire aux autres ».
Les dialogues, rares, avares, sont ceux de deux êtres au bord de la rupture, où seulement l’habitude, la routine peuvent servir de ciment. Alors on grogne, on s’aboie dessus, on s’envoie tranquillement, tragiquement, quelques missiles :
« - J’en ai marre. Je ne peux pas faire ce que je veux.
- Qu’est-ce que tu voudrais faire ?
- Rien.
- Tu ne fais déjà pas grand-chose ».
Ambiance…
« Toute seule » est un portrait au rasoir de la misère sociale en France contemporaine, un instantané de la face cachée d’une vie de couple, de la difficulté à trouver une place dans le système. Texte violent, rugueux, incisif, sans concessions, il martèle, frappe, comme la société et le couple qu’il met en scène. Déconnexion avec l’extérieur, recroquevillement et stagnation dans un quotidien fait de rien, telle est la peinture de ce roman où la marge de manœuvre est infime tant le climat est sombre et sans espoir, irrespirable tant il est malsain et marqué par le vice.
Clotilde ESCALLE nous plonge sans tuba dans les basses-fosses de l’âme humaine sur 200 pages d’une noirceur totale, dans lesquels la vie d’un couple à l’agonie fait écho à celle d’un monde malade. Beau texte sans fioritures laissant apparaître peu de sas de décompression, lecture dérangeante peignant des portraits que l’on a croisés ou coudoyés, ce qui accentue le malaise. Ce roman perturbant vient de sortir dans la collection Made in Europe de chez Quidam.
https://www.quidamediteur.com/
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire