Ce livre hybride est un vibrant hommage à un combattant de l’ombre : Hippolyte THÉVENARD, Résistant contre l’occupant en France durant la deuxième guerre mondiale, déporté… et grand-père de l’autrice Céline DIDIER.
Le parcours de ce grand-père catholique courageux puis malheureux est retracé à partir de 1938 mais surtout en pleine guerre, jusqu’à son terme. Ce grand-père est mort bien des années plus tard, le 2 juillet 1989 (il pénétra dans l’enceinte de Dachau la première fois le 2 juillet 1944) alors que Céline DIDIER n’avait que 13 ans, aussi elle a décidé de s’emparer d’une partie de son itinéraire guerrier pour le conter ici.
L’exercice littéraire est une biographie dressée à partir d’un cahier de souvenirs du combattant déporté, mais pas de manière académique, Céline DIDIER ayant choisi la présentation comme pour une longue poésie, quelques mots, retour à ligne, quelques mots, etc. Sans ponctuation ou presque. Quant au style, il n’est pas littéraire, mais plutôt une langue orale, dans l’urgence, celle de témoigner, présentée comme les paroles d’une longue chanson de souvenirs, un slam de rue sans rime ni obligation stylistique.
« Alors on l’écrit cette histoire ?!
Elle
en vaut la peine
je le
sais
on le
sait tous
il
faut qu’on la mette noir sur blanc
cette
histoire
pour qu’elle ne s’efface pas »
S’appuyant tout d’abord sur les propres écrits d’Hippolyte THÉVENARD, l’écrivaine doit ensuite faire fonctionner sa propre mémoire puis son imagination puisque le cahier se clôt en juillet 1944, à la date de la déportation du prisonnier pour le camp de Dachau. Il y restera jusqu’au 7 mai 1945.
Ouvrier agricole dans sa jeunesse, Hippolyte, né en 1920, s’engage dans l’armée au Maroc en 1939 alors qu’il n’a que 18 ans. Un an plus tard, il revient en France, la guerre est déclarée. Il est fait prisonnier en Allemagne puis libéré en juillet 1941 car soutien de famille.
La trajectoire de ce grand-père est similaire à celle, héroïque également, d’autres résistants, déportés, revenus ou pas. Hippolyte a eu cette « chance » de survivre à Dachau. Mais Céline DIDIER est émue lorsqu’elle découvre les souvenirs de ce grand-père, aussi elle hésite, ne sait pas comment en entreprendre la lecture, l’émotion pouvant lui jouer un sale tour. Elle se lance, décrit méticuleusement ce cahier, de couverture rose, s’en imprègne de chaque détail, comme paralysée par ce qu’elle va découvrir à l’intérieur, retardant le moment, la plongée.
Dans ce texte d’une écriture simple, pédagogique, pouvant parler à toutes et tous, Céline DIDIER présente une biographie, celle de son grand-père, qu’elle lie à la sienne propre, dont les pages s’écrivent bien des décennies plus tard, note les points communs, les coïncidences, prenant pour matière de travail le vieux cahier pudique, sans aucune date indiquée (ce qui rend plus difficile la réalisation du puzzle) écrit visiblement par un modeste, un juste.
« Quand j’ai commencé à me replonger
dans
tes souvenirs
j’ai
lu des copies
des
photocopies
des
pages intérieures
de ton
cahier
que ma
mère m’a envoyées
par
courrier
comme
si ces pages manuscrites
étaient
des lettres qui m’étaient destinées
comme
une correspondance
comme des confidences »
Rédaction didactique afin de pouvoir témoigner par personne interposée, biographie de résistant déporté une année, un soldat de la Liberté qui passe soudain d’un nom à un numéro. Du cahier, de courtes phrases en sont extraites, elles figurent en italique. Céline DIDIER fait partager son émotion, visible, sa fierté aussi d’avoir eu un grand-père de cette trempe. Elle lui donne une nouvelle fois la parole (notez ici la ponctuation, de retour lorsque le passé s’exprime) :
« Mes cheveux tombèrent
et la
tondeuse passa partout
ensuite,
soi-disant pour désinfecter,
on
nous passa les parties au « grésil » pur,
ce fut
pendant un quart d’heure des brûlures atroces,
pas un
ne se roula par terre
la vie de bagnard commençait ».
Le texte se termine par l’analyse de deux photographies prises en 1945, quelques semaines après le retour des camps de son grand-père. L’autrice les fait parler, les chérit comme un don inestimable et en cadeau nous les offre à la toute fin de l’ouvrage. Le titre de ce livre est une réponse au grand-père qui, par le style de ce cahier, souhaitait sans aucun doute qu’il puisse être découvert et lu, expliqué et analysé. C’est ce que fait sa petite-fille, par petites touches, dans ce texte qui vient de paraître aux captivantes éditions Lunatique que je tiens à remercier au passage. Le catalogue vaut franchement la peine de s’y attarder.
« t’es qu’un prisonnier
un
prisonnier qui se tape douze longues heures
de
travail forcé tous les jours
mais
ça ne compte pas ça
ça
compte pour du beurre
du
beurre si seulement…
un
luxe impensable
tu ne
sais même pas
si tu en reverras un jour la couleur »
https://www.editions-lunatique.com/
(Warren Bismuth)
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