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mercredi 24 juillet 2024

Aliye UMMANUEL « Trilogie chypriote »

 


Cette trilogie serait plutôt un long texte découpé en trois pièces complémentaires tant le sujet est similaire. « Passa tempo » de 2009 est une pièce très courte, titre pris à partir de « Pasadembo », la graine de courge, avec bien sûr ce temps qui passe. Une mère et son fils, lui considéré comme vétéran de guerre alors qu’il n’était pas né durant le conflit. Comment l’explique-t-on ? Sa mère alors enceinte a reçu une balle dans le ventre qui a touché son fœtus et blessé son fils à naître. Le père est mort durant cette guerre, 30 ans auparavant. Le fils devenu adulte est accaparé par un hobby : découper de faux doigts qu’ils a sculptés dans de la pâte à modeler, doigts qu’il s’imagine être les siens.

« Disparu » est une pièce de 2012. En de courtes séquences, une troupe répète une scène de « Hamlet » de Shakespeare. L’homme jouant Hamlet vit avec sa mère et son grand-père. Une fosse commune datant d’une guerre et contenant 15 cadavres vient d’être découverte dans le pays. Le père, mort dans cette guerre, en fait-il partie ?

« La maison », la plus longue des trois pièces, est datée de 2015. Une grand-mère et sa petite-fille visite la maison familiale qu’elles ont quittée 30 ans auparavant. Les actuelles propriétaires leur font redécouvrir chaque pièce où pas grand-chose n’a bougé depuis leur départ dû à une guerre. La grand-mère scrute chaque recoin, chaque objet, et ainsi se remémore la vie passée. Soudain la discussion s’envenime lorsque la grand-mère fait part de son désir de réinvestir les lieux avant que chaque protagoniste évoque les raisons et les conditions de leur fuite.

Cette « Trilogie chypriote » est une véritable petite saga sur la vie après la guerre, sur la filiation, l’héritage personnel comme national, l’exil intérieur et extérieur, le traumatisme, l’abandon. Dans des scènes intimistes, l’autrice chypriote dévoile un pan de l’histoire contemporaine de son pays. Trilogie où les trois pièces se juxtaposent pour n’en faire qu’une seule. Alyie Ummanuel possède ce talent de pouvoir raconter une histoire similaire par des lieux, des émotions, des personnages différents et sans cesse renouvelés. Le résultat est convaincant, d’autant que la plume confère une atmosphère feutrée et confidentielle qui rend le tout encore plus intime en même temps qu’universel. La brève préface traduite du grec par Michel Volkovitch est signée Andy Bargilly tandis que la traduction du turc est assurée brillamment par Selin Altıparmak. Ce livre vient de paraître aux éditions L’espace d’un Instant et trouve son originalité dans le thème, le pays évoqué, sans jamais avoir recours à l’évocation d’un pays touché par la guerre bien que cette dernière soit le nœud du texte. Superbe !

« Ce que tu appelles être pacifique, ça aussi, ça engourdit sans aucune illusion. Ils font de toi une pacifiste, juste pour tuer le temps jusqu’à ce qu’une nouvelle guerre éclate. Ce n’est pas toi qui décides si tu combattras l’ennemi ou pas. Tu peux l’aimer autant que tu veux, ce n’est pas en ton pouvoir de décider de le tuer ou pas ».

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(Warren Bismuth)

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