Une bande d’anarchistes parisiens s’organise pour kidnapper un gros bonnet : Poindexter, ci-devant ambassadeur des Etats-Unis en France. Les gusses ne sont pas précisément là pour faire de la figuration et vont employer les manières pas toujours les plus douces pour atteindre leur but. Nous sommes au début des années 1970, les groupes terroristes d’extrême gauche commencent à fleurir, parmi lesquels les Brigades Rouges en Italie, la Fraction Armée Rouge en Allemagne ou encore les Tupamaros uruguayens qui semblent ici l’influence du groupe qui décide de s’appeler Nada. Ni les G.A.R.I. ni Action Directe n’existent encore en France.
L’enlèvement se déroule sans accroc ou presque. Il a lieu dans une maison close ou quelques hautes sphères de la société française ont leurs ronds de serviette. Seulement il a été filmé d’une fenêtre par un témoin. Les forces politiques françaises prennent immédiatement position alors qu’un manifeste du groupe Nada est envoyé aux médias. Une rançon de 200 000 dollars est demandée.
« Nada » nous plonge dans le cœur politique de la France du début des années 1970, en plein gaullisme pompidolien dont même le décor est authentique. Un banal fait divers dans une période troublée par de nombreux épisodes terroristes à la sauce extrême gauche. Banal ? Pas tant que ça. Car derrière il y a un indéniable talent, celui de l’auteur, Jean-Patrick Manchette, avec son sens inouï et quasi obsessionnel de l’observation et du détail, son humour corrosif ou absurde, son écriture minutieuse, moderne et dynamique. Ses héros dont il semble bien connaître les convictions et les revendications vont droit au casse-pipe, pour ne pas dire au carnage. Car s’ils sont déterminés, ils ont en face d’eux des flics féroces et sans pitié. Les terroristes partent en planque en pleine campagne, dans une fermette isolée.
Le manifeste du groupe Nada a un but. « L’État avait quarante-huit heures pour donner sa réponse, soit jusqu’au lundi à midi. S’il refusait, l’ambassadeur serait exécuté. S’il acceptait, le manifeste devait paraître dans la presse, être lu à la radio, à la télévision. Et de nouvelles instructions seraient envoyées par le groupe Nada, concernant le versement de la rançon ». Pour les autorités, l’assassinat de l’ambassadeur par les anarchistes serait du pain béni, il entacherait grandement leur image. Il FAUT qu’ils dézinguent l’ambassadeur. L’assaut est ordonné et va faire du dégât.
« Nada » est un pur exemple du roman noir : petites frappes issus de classes moyennes avec ses héros et ses lâches, se mesurant à un appareil d’Etat organisé. La langue est parfois verte, le scénario limpide, prenant exemple sur des faits réels (ou en tout cas sur les situations de son époque). L’énigme, secondaire, est minimale. Le but est d’imposer un climat, une ambiance particulière, un rythme haletant. Et ici il est redoutablement efficace.
Ecrit en 1972, « Nada » déboule en pleine béchamel internationale, avec des gouvernements préoccupés voire débordés par des organisations politiques révolutionnaires sans foi ni loi dans un style tragico-burlesque ou des séquences cocasses dynamitent cet univers d’une noirceur totale. Furieusement radical, « Nada » se lit presque comme une chronique politique des années 1970. Ses personnages, crédibles en diable, ont pour certains un passé de résistant, un présent de fonctionnaire presque insignifiant. Mais des idéaux gros comme ça. C’est un monde anarchiste issu des années 1960 qui se réveille sous nos yeux, et même s’il a parfois une allure de Pieds nickelés, il est ravivé par une volonté de justice de classes.
Manchette a frappé comme sans discernement, c’est ce qui fait tout le jus de ce roman à la fois simple et envoûtant, se déroulant dans un espace-temps resserré à l’extrême (gauche), qui ne laisse pas le ciment séché. Ni le sang. Il fut adapté à l’écran en 1974 par le grand Claude Chabrol qui rend ainsi un hommage à Jean-Patrick Manchette et à sa verve légendaire.
(Warren Bismuth)
J'ai souvent rencontré le nom de cet auteur sans l'avoir jamais lu. Pourquoi pas!?
RépondreSupprimerJ'ai croisé son nom depuis tant d'années et n'ai franchi le pas que très récemment, je ne le regrette pas.
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