Recherche

mercredi 12 février 2025

Richard WAGAMESE « Jeu blanc »

 


Saul Indian Horse, un indien ojibwé né dans l’Ontario en 1953, a la trentaine lorsqu’il se résout à écrire sa biographie sous la pression de proches, alors qu’il vient d’être admis dans un établissement de soins pour alcooliques. Sa vie fut comme celle de son peuple, entre violence, misère et velléités d’un avenir meilleur.

Saul commence véritablement par le commencement, présentant ses ancêtres, au moment où son peuple vivant encore selon les traditions indiennes, découvre les bienfaits du cheval, qu’il appelle Grand Chien. Puis ce sont les premières rencontres – tendues – avec les Zhaunagush, les Blancs, qui prennent rapidement l’ascendant, kidnappant des enfants pour les convertir à la religion chrétienne. Son frère Benjamin en est indirectement décédé, ses parents sont partis, le laissant seul, lui Saul, avec sa grand-mère âgée qui ne va pas tarder à mourir à son tour.

Saul est admis de force dans un établissement religieux, St. Jerome’s, où nombreux enfants meurent de maladies et de chagrin. « À St. Jerome’s, j’ai vu des enfants mourir de tuberculose, de grippe, de pneumonie et de cœur brisé. J’ai vu des jeunes garçons et des jeunes filles mourir debout sur leurs deux pieds. J’ai vu des fugitifs qu’on ramenait, raides comme des planches à cause du gel. J’ai vu des corps pendus à de fines cordes fixées aux poutres. J’ai vu des poignets entaillés et les cataractes de sang sur le sol de la salle de bain, et une fois, un jeune garçon empalé sur les dents d’une fourche qu’il s’était enfoncée dans le corps. J’ai observé une fille remplir de pierres les poches de son tablier et traverser le champ en tout sérénité. Elle est allée jusqu’au ruisseau, s’est assise au fond et s’est noyée. Ça ne cesserait jamais, ça ne changerait jamais, tant qu’ils continueraient à enlever des jeunes Indiens à la forêt et aux bras de leur peuple ».

Dans cet établissement travaille le père Gaston Leboutilier qui va faire découvrir à Saul le hockey sur glace. Et là c’est le choc d’une vie : Saul happé par ce sport veut en connaître jusqu’au moindre secret, devient vite la coqueluche de ses camarades, lui qui apprît à patiner, caché de tous, avec une bouse de vache en guise de palet. « La patinoire était le lieu où tous nos rêves prenaient vie ». Saul monte en puissance dans son talent, mais les ignominies racistes de ses adversaires, du public et même parfois de ses coéquipiers ont raison de sa rage.

À 14 ans, Saul est recueilli par la famille Kelly pour faire enfin valoir son talent sur la glace. Le racisme l’accompagne : « Les Blancs nous avaient refusé le privilège des stades de glace couverts, le confort des vestiaires chauffés, les stands d’alimentation, les patinoires entourées de baies vitrées au-dessus des bandes, les tableaux d’affichage et même un bac pour les joueurs. Nous restions debout derrière la bande, à taper des patins dans la neige pour nous réchauffer les pieds ». Car le hockey sur glace appartient aux Blancs et uniquement à eux. La communauté indienne est une minorité méprisée, haïe.

Saul va devenir professionnel, mais il va devoir rapidement s’enfuir, devenant solitaire, traqué par la vindicte des Zhaunagush. Il rage contre l’injustice tout en faisant connaissance avec la dive bouteille qui va le détruire.

« Jeu blanc » est un très beau roman sur l’assimilation, sur la difficulté pour les Indiens de préserver leur culture face à la violence des Blancs leur imposant la leur – et la peur. Les Blancs cherchent toujours à écraser les Indiens, qu’ils voient encore comme des ennemis. Le scénario se concentre sur la découverte du hockey pour Saul et sur le jeu. Les extraits d’entraînements, de matchs sont très nombreux, émouvants, passionnés. C’est un roman initiatique, y compris dans l’apprentissage de la boisson pour Saul. Roman qui remue aux tripes par le choix des mots, des phrases, des images. Richard Wagamese (1955-2017) était lui-même de sang ojibwé, il n’est pas impossible que cette histoire revête des bribes d’autobiographie. En tout cas, il est clair que Wagamese a souffert de la domination des Blancs sur son peuple. Seuls trois romans de cet auteur ont été traduits en France, c’est dire si « Jeu blanc » est un élément important de l’œuvre.

« Jeu blanc », c’est aussi la rédemption, la sagesse, cette volonté de faire le bien, malgré les souvenirs hantant l’esprit du pauvre Saul qui, nous ne l’apprenons qu’en fin d’ouvrage a, tout le long de sa vie, caché un terrible secret. Que je vous invite à découvrir dans ce roman touchant, traduit ici par Christine Raguet, prenant position du côté des mots canadiens pour les termes techniques ou logistiques du hockey. « Jeu blanc » joue sur la corde sensible de son lectorat pour mieux faire entrer dans nos esprits le calvaire du peuple ojibwé, qui est le fil conducteur du roman.

(Warren Bismuth)

6 commentaires:

  1. J'avais également adoré ce roman, sa force, la beauté de son écriture, les messages véhiculés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances13 février 2025 à 02:46

      Remarquable à tous points de vue. Je projette de lire sa poignée d'autres romans.

      Supprimer
  2. Ce roman m'a bouleversée, profondément. L'auteur donne l'impression de découvrir les raisons de son mal-être en même temps que le lecteur (je ne sais pas si je suis très claire) et ça c'est très fort.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances27 février 2025 à 12:01

      Tu te fais très bien comprendre ! L'émotion est vive à la lecture de ce roman.

      Supprimer
  3. Il faut vraiment que je découvre cet auteur. Ce roman a l'air vraiment très bien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances27 février 2025 à 12:02

      Je ne connais pas encore ses (rares) autres romans, je compte bien me lancer prochainement.

      Supprimer