Surprenant texte ! Sentiment premier d’un recueil de nouvelles, puis l’esprit se brouille, se questionne. Est-ce plutôt un roman ? Ou des fragments, une suite sans logique, des papiers épars ? Il faudra attendre la fin du récit pour que la lumière soit (en partie) faite.
Après une catastrophe d’ampleur (appelée « le mal »), un monde tente de survivre, héritier de l’ancien, ou plutôt du nouveau monde. Du désastre ayant plongé la terre dans le chaos, nous ne saurons rien. Des habitants des villes partent se réfugier à la campagne ou dans les bois, pour certains il s’agit d’un retour ainsi que d’un souvenir de l’enfance. Dans un climat post-apocalyptique, des femmes prennent leur destin en main, au risque d’abandonner leurs enfants qui devront être livrés à eux-mêmes.
Des cadavres, certains encore vivants mais cadavres tout de même, des humains transformés en animaux, plus grand-chose ne subsiste. Les objets rescapés de « l’avant » sont pillés, la fin semble proche. Même l’or de ne vaut plus rien. C’est un monde redevenu moyenâgeux, la technologie a complètement disparu, seule la survie compte. Les habitants que nous suivons n’ont aucune nouvelle du reste du monde, ils évoluent en vase clos, cherchant pour certains une petite place pour mourir.
Les chapitres sont comme des instantanés d’une vie terrestre à l’agonie, des loques surgissent de nulle part, et les Prieurs sont partout. Ce sont des errants qui n’ont plus rien pour vivre. Ils marchent sur leurs genoux et réclament de l’aide. Mais comment en obtenir car les mieux portants sont également malades, faibles et affamés ?
« Le ciel s’obscurcit et s’éclaircit à mesure que les rafales dispersent les nuages ici et là. Peut-être pleuvra-t-il plus tard, ou peut-être ne tombera-t-il pas une seule goutte d’eau de tout le prochain mois. Les cendres des incendies saturent le ciel en provoquant des changements de temps radicaux ». Car incendies il y a eu. Un peu partout. Les villages alentour sont encore fumants.
Et incendies il y aura, car les familles commencent à dresser des bûchers, de vêtements, de jouets, de vieux objets, du monde d’avant, comme s’il fallait en faire disparaître tout témoignage par le feu, dans une société dynamitée ou même un simple « ça va ? » demande une longue réflexion.
« Alors elle sentit la présence du garçon dans son dos et s’arrêta brusquement. Elle voulait lui expliquer qu’elle ne pouvait pas l’emmener. Que le salut était individuel, que le monde qui s’annonçait était aussi dur que ça. Mais elle qui avait vécu loin ne dit rien. L’enfant devrait apprendre tout cela tout seul, si jamais il survivait ». Et si ce monde-là n’était pas si éloigné du nôtre ?
Le talent de ce texte est dans son opacité. Non seulement l’autrice laisse planer le doute sur les causes de la catastrophe, mais elle ne donne aucune indication géographique et très peu d’indices pour délimiter « l’avant », stoppé par « le mal ». On ne saura pas grand-chose des personnages qu’elle met en scène dans un paysage étouffant, déshydraté, vidé de sa substance. Une série de brèves nouvelles ? Tout l’indique jusqu’à la réapparition de certains protagonistes, et là tout s’imbrique intelligemment, comme un puzzle en pleine construction, avec de petites touches concernant des scènes déjà évoquées, et qui reviennent, contées par d’autres lèvres. Pour le reste, Ariadna Castellarnau n’explique rien, laissant libre cours à notre propre imagination, nous laissant carte blanche pour imaginer le passé.
Roman intimiste bien qu’il traite de l’état de notre planète toute entière, il est peuplé de zombies mais aussi de personnages plus forts, les femmes notamment, car les hommes se sont écroulés sous leurs médailles, leurs acquis, et ce sont les femmes qui désormais pilotent l’avenir. C’est ainsi que « Brûlées » peut être vu comme un roman féministe, avec ces héritières des sorcières que l’on a brûlées jadis. Quand soudain, une envie de guirlandes pour égayer ce décor apocalyptique…
Fable féministe donc, mais aussi dénonciation de la surconsommation, du superflu, pour l’autosuffisance et le retour aux valeurs simples de l’existence. Car cette dystopie n’est pas tragique, elle laisse entrevoir une porte de sortie, encore faut-il faire l’effort de tout reprendre de nous-même et d’oublier le vieux monde, celui que l’on a pourtant nommé le nouveau, dans lequel nous vivons. Ariadna Castellarnau, catalane dont c’est ici le premier roman, nous embarque dans un imaginaire crépusculaire tout en nous faisant acteurs. Elle déjoue tous les plans structurels, et il nous faut nous armer de patience pour trancher quant au format. Paru originellement en 2018 aux belles éditions de L’ogre, il vient juste d’être réédité en poche chez le même éditeur, collection Sirènes. Il est de ces petits livres originaux et comme artisanaux que l’on se flatte d’avoir lu. Il est superbement traduit de l’espagnol par Guillaume Contré.
https://editionsdelogre.fr/logre/
(Warren
Bismuth)
Je l'ai eu dans mes mains samedi en passant en librairie et je me disais que j'avais vu une chronique dessus mais je ne me souvenais plus que c'était chez toi. Je regrette du coup de l'avoir reposé. Partie remise.
RépondreSupprimerD'autant qu'il n'est pas cher ! En tout cas j'ai beaucoup aimé.
Supprimer