Petite incursion aux éditions La Contre
allée, à la découverte du roman d'Amandine DHÉE, « La femme brouillon »
(2017, collection la sentinelle).
C'est une quatrième qui me parle
immédiatement car le sujet de ce court roman (86 pages) concerne la maternité,
idéalisée et vécue par l'auteure qui est donc la narratrice de ces quelques
pages.
De l'annonce de la grossesse à l'arrivée du
bébé, distancié par l'emploi du déterminant « le » dans la
majorité du livre, tout est centré autour de la femme et de ses sentiments ambivalents
quant à ce nouvel état de « femme-lézard » qui vient effacer
la « femme brouillon » qu'elle fut avant cet événement. Il
faut composer avec le poids de la mère qui a été la nôtre, et s'écrire comme
mère, différente du modèle que l'on a subi : « Mais j'ai trop vu
ma propre mère dégringoler. Une fois sortie de l'enfance trouée, hors de
question de me reproduire » (p. 14)
Accrochée à son Larousse, succombant comme
la narratrice le dit elle-même au marketing de la grossesse, elle traque tous
ces moments inconnus alors même que l'on sous-entend depuis la nuit des temps
qu'ils sont naturels et universels. Pourtant ici, on nage en milieu inconnu.
L'auteure prend un recul incroyable et parle
d'elle de très très loin, avec un œil omniscient mais aussi objectif, ce qui
rend le récit assez particulier et auquel on ne peut que s'identifier. Loin du
voyeurisme et des détails peu ragoûtants, les choses sont dites, les sentiments
sont explicités, cette grossesse, cette maternité sont presque rationalisés
alors que, dans un même temps, tout lui échappe.
Devenue mère, le je devient nous,
union de cette femme brouillon et de cette femme-lézard qui s'écarte de la
littérature, « je n'ai rien lu depuis plusieurs semaines »,
« les gens me parlent davantage de mon bébé que de littérature »
(p.63). Peu à peu, elle essaie de raccrocher à ses rituels, qu'elle moquait
doucement parfois chez les autres écrivains, tentatives d'isolement pour créer
mais « Même absent le bébé m'accapare. La femme-lézard se fiche de la
littérature » (p.65). L'auteure doit tout apprendre, conjuguer
l'ancien avec le nouveau, découvrir de nouvelles contraintes qu'elle apprivoise
peu à peu. Elle se cherche, doit se retrouver alors qu'elle n'est plus tout à
fait la même.
Peu importe, « j'arrache mon corps
au bébé » (p.68) pour retrouver une sensualité, « je décapite
la mère parfaite qui menace en moi » (p.69), mais toujours « mes
identités se disputent » (p.75). Le retour à l'équilibre est un long
et douloureux apprentissage que l'on doit s'autoriser. Et cela passe par
l'éloignement physique : le bébé doit avoir sa propre chambre, la
réappropriation se joue à tous les niveaux.
Il faut du temps, se l'accorder et essayer
d'être douce avec soi-même. J'accorde exprès au féminin : ce que nous
montre ce roman qui dégueule de vérités, c'est que nous, femmes, porteuses de
ce miraculeux possible, grâce à notre utérus, « Maman-récipient »
(p.16) devons nous dépatouiller de mille injonctions contradictoires avec lesquelles
nous devons composer, surtout lorsque nous devenons mère. Le retour à
l'équilibre se fait, mais à quel prix.
Ce roman est féministe, rien à redire
là-dessus, et je crois bien que cet adjectif résume à lui seul ces fantastiques
86 pages lues d'une traite, auxquelles je n'ai cessé de m'identifier de long en
long. C'est pas beau mais c'est juste. Ce n'est pas voyeuriste mais c'est
profond et détaillé, c'est vrai.
Je cite beaucoup le livre dans cette
chronique : les mots me manquent car Amandine DHÉE a déjà tout dit et
surtout bien dit. Je termine encore sur ses mots « la mère parfaite
fait partie des Grands Projets Inutiles à dénoncer absolument ». OH
OUI !
Je dédie cette chronique à mes amies mamans,
à mes amies futures mamans (Émeline X2), à mes amies qui ne seront jamais
mamans parce qu'elles ne le veulent pas, à celles qui y réfléchissent et qui se
laissent du temps (Anouck), à celles qui ont refusé puis abdiqué (Flo). Ces
mots sont pour nous.
(Émilia
Sancti)
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