En
1934, le journaliste français Xavier de HAUTECLOCQUE publiait « La
tragédie brune », un ouvrage ô combien prémonitoire résultant de ses
nombreux voyages en Allemagne, à Berlin surtout. Au fil des années, il avait pu
observer le changement radical dans les mentalités, conséquence de la crise
économique et de l’accession d’HITLER au pouvoir. Il dénonçait la montée en
flèche du racisme, de l’antisémitisme, les délations, les nouvelles lois visant
les juifs, l’anticommunisme haineux, le début des camps de travail,
disciplinaires, de concentration fleurissant dans le pays, les rafles de plus
en plus gigantesques, toujours irrationnelles. Il cherchait à comprendre comment l’Allemagne en était arrivée au point de non retour, notamment par les discours
d’HITLER, d’une violence inouïe. Après la sortie de ce bouquin, il retourna
voir l’étendue des dégâts en Teutonie nazie, c’est là qu’il sera empoisonné par
ces mêmes nazis, le 3 avril 1935.
Cette
BD n’est pas une fiction, c’est une version en vignettes de ce livre. Elle
relate point par point la régression au sein de l’Allemagne, la catastrophe
irréfutable à venir. L’auteur de ce bouquin ne se nourrit pas de rumeurs, il va
au cœur de l’action, allant jusqu’à s’infiltrer dans les murs de la Gestapo. Il
va se glisser tout près des chemises brunes, des noires, va entrer en contact
avec des informateurs allemands qui vont lui faire part de la réalité, le faire
visiter Dachau et d’autres camps (de l’extérieur uniquement, trop dangereux de
pénétrer intra muros) dans une
Allemagne sombrant dans la folie, le chaos et la haine, les bitures
gigantesques de soldats prêts à tout pour la gloire de leur patrie.
Mieux : les anciens adversaires du nazisme reconvertis comme par
enchantement à la grandeur de la nation. Un véritable lavage de cerveau
orchestré par le IIIe Reich. En effet, aux élections de 1933, les électeurs
sont prévenus : s’ils ne votent pas pour le parti nazi durant les législatives ou s’ils s’abstiennent, il
leur en cuira, notamment par une interdiction de territoire allemand. Le peuple
sait aussi être soumis à l’autorité, et c’est exactement ce qui a lieu quelques
années avant le déclenchement de la guerre.
Aujourd’hui
tout paraît limpide, cette montée inexorable du nazisme, les pays adversaires
impuissants ou tout simplement ignorants de la gigantesque purge en cours en
Allemagne. Pourtant, certains savaient, avaient averti. Xavier de HAUTECLOCQUE
fut ce que l’on nommerait aujourd’hui un « lanceur d’alerte », il le
paiera de sa vie, et la guerre qu’il redoutait tant aura pourtant bien lieu
avec les conséquences que l’on connaît. Cette « Tragédie brune »
entre dans les documentaires de devoir de mémoire, pour bien rappeler que tous
les journalistes ne sont pas des ventres mous, certains font leur métier
dignement, dangereusement, y jouant leur vie à chaque minute. HAUTECLOCQUE fait
partie de ces téméraires, qui ont certes parlé ou écrit dans le vent, mais qui
de nos jours apparaissent comme de véritables paratonnerres. C’est parce que
les autorités n’ont pas voulu savoir que la suite a pu prendre forme.
Certes
ce n’est pas tout à fait aussi schématique, pourtant on ne peut s’empêcher de
refaire l’Histoire dans notre tête et nous sentir révoltés en lisant parfois
qu’avant la guerre personne ne savait. Non, la politique de l’autruche était le
sport à la mode, à grands renforts d’inutiles négociations. Cette BD est un
magnifique exemple de résistance passée et, à l’heure où des locaux fascistes
ou néo-nazis s’ouvrent un peu partout en toute légalité, cet album
sorti en 2018 aux Editions Les Arènes BD est un bon moyen pour réfléchir sur
l’avenir que l’on désire.
Après
une telle lecture et le goût amer, âpre en bouche, j’allais oublier de donner
quelques précisions sur les dessins, sobres, sombres, très « old
school », parfois plus colorés sans être bariolés, ils montrent le
primordial, celui qui marque, ne s’attardant pas dans des détails qui
pourraient sonner comme une digression. Et comme décidément ce bouquin est
complet, en fin de volume vous pouvez retrouver les 12 premiers chapitres de
« La tragédie brune » de Xavier de HAUTECLOCQUE, comme pour vous
pousser à continuer les investigations, comme pour vous amener à lire l’intégralité
de l’original de la matière première de cette BD. Vous en ressortirez certes
horrifiés, mais en vous disant que le futur n’est pas tracé à l’avance et qu’il
n’est jamais trop tard pour écouter les lanceurs d’alerte. Il existent, parfois
ils se sacrifient pour l’humanité, à nous de les dénicher.
(Warren BISMUTH)
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