Réédition
de 2018 ainsi que nouvelle traduction d'une poignante nouvelle de 1906 plus souvent croisée sous le nom « Le renégat » (cependant le titre
original en est bien « The apostate »). Elle était notamment présente
dans l'excellent recueil de nouvelles « Les temps maudits ». Il ne
s'agit donc pas d'un texte inédit. Mais quel bel objet cependant ! Un
livre ne se vendant pas uniquement pour son aspect visuel (du moins je
l'espère), voyons-en le contenu.
Une
nouvelle en partie autobiographique (LONDON avait lui-même travaillé dans une
usine de jute dans laquelle il avait souffert dans sa jeunesse) où un jeune
homme n'a connu que les murs de la fabrique de jute dans laquelle il est
salarié, d'une part il y trime depuis sa prime jeunesse, mais est né dans
l’enceinte même de l'usine, sa propre mère qui travaillait au même endroit
ayant accouché au travail.
Le
quotidien de Johnny peut effrayer : peu de sommeil, vie réglée tel un
métronome sur son monde du travail. Il doit gagner sa croûte pour nourrir sa
famille (il vit avec sa mère et le reste des enfants), pauvre et désœuvrée.
Quelques épisodes effrayants de la misérable vie à l'usine sont contés par
LONDON, faisant de « L'apostat » un écrit riche car dense et fourni en
détails. De ce quotidien morne, Johnny n'en veut plus, il rejette en bloc le
système salarial plus proche de l'esclavage que de l'épanouissement personnel.
On
retrouve dans cette nouvelle le LONDON combattant, dénonciateur, proche des
milieux syndicalistes, des socialistes radicaux, un LONDON à fleur de peau qui
sait de quoi il parle. En quelques pages il restitue l'atmosphère oppressante
du travail en usine du début du XXe siècle, s'attaque au patronat, à la toute
puissance, se range du côté des petites gens, les laissant s'exprimer sur leurs
ressentis. Ici il se dresse frontalement contre le travail salarié des enfants. LONDON est un très grand de la littérature.
Le
format « nouvelle » est toujours téméraire pour un auteur, certains
s'y embourbent, mais LONDON s'en sort à merveille en nous faisant vibrer aux
côtés de son (anti) héros, son double en quelque sorte. En matière de
littérature prolétarienne, sociale, revendicatrice, il peut être vu comme un
pionnier, du moins aux Etats-Unis. Disparu à 40 ans seulement en 1916, il laisse
néanmoins une bibliographie assez impressionnante, comme s'il était resté une
vie entière accroché à son stylo. Beaucoup de ses fictions sont en partie
autobiographiques, LONDON ayant vécu plusieurs vies tumultueuses en une seule, un
personnage hors du commun, une force de la nature y compris dans l'écriture. Il
fait partie de ces écrivains rares, sans concession, sans fioritures, toujours
à la limite de la rupture, un écorché vif qui vit ses écrits, les commente avec
agressivité. Il a inspiré tellement d'auteurs qu'il serait impossible de voir
en cet écrivain une part négligeable de la littérature.
Cette
nouvelle est en partie irrespirable par une sorte de huis clos sans fenêtre,
sans air. LONDON a le chic pour vous coller une ambiance sinistre et malsaine,
bien poisseuse à souhait. À la fin de cette présente nouvelle, doit-on envier
Johnny pour sa décision qui le libère de ses chaînes du salariat ou le blâmer
pour le fait qu'il abandonne sa famille à son triste sort ? Johnny est de ceux
qui sont usés par le travail, qui n'ont rien connu d'autre, qui n'ont pas pris
le temps de vivre et réalisent qu'il sera bientôt trop tard. Anéantissement ou
espoir ? LONDON reste souvent sur la tangente. C'est sorti en 2018 aux
superbes Editions Libertalia dans leur collection « La petite
littéraire » et
c’est accompagné d’une instructive préface.
(Warren Bismuth)
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