Dans cette autobiographie romancée, Jim
HARRISON se confie peut-être plus que jamais. Certes, dans tous ses romans, on
peut deviner une part de lui-même, mais jamais à ce stade. Ici il parle de lui
à la troisième personne, comme pour nous présenter un ami qui lui est cher.
Le premier chapitre est très long et
évoque ce vieux monsieur de plus de 70 ans qu’HARRISON est devenu, avec ses
faiblesses, ses failles, cet amour de la vie mais aussi ses fragilités, le
corps qui ne lui appartient plus, le désir qui s’estompe, mais toujours avec un
sens de l’humour redoutable. HARRISON se souvient apeuré de la notoriété
naissante « Contrairement à ce qu’il
avait imaginé, le succès le rendit colérique et malheureux. Les raisons de ce changement
restaient vagues, mais il se sentit complètement inadapté à sa nouvelle
situation ».
Puis déboule un HARRISON plus jeune,
croyant, fasciné par la figure de Jésus Christ, mais aussi buveur, fêtard,
amoureux des femmes, de la pêche, de la bonne bouffe, du tabac à outrance,
s’essayant aux plaisirs de la cocaïne. S’il parle de l’écriture de ses œuvres,
jamais il n’en donne aucun titre ni aucune piste, comme si elles venaient d’un
autre lui-même. Il se confie sur sa vie, son couple fragile (il finira par se
séparer de sa femme qui paraît en avoir trop enduré), les nombreux
déménagements, les cuites mémorables, son élevage de cochons qui a provoqué
durant un temps un tarissement de son art. Il évoque brièvement ses enfants
(dont un mort), son père et sa sœur décédés dans un accident de voiture. HARRISON
est tout d’abord un poète, il sait le rappeler. Il s’est essayé à la peinture,
mais n’y était pas habile.
Il n’oublie pas ses chiens, fidèles, la
nature qui le fascine (les oiseaux surtout). Il est conscient que son talent à
raconter des histoires imaginaires vient en partie de sa propre propension à
savoir mentir : « Le problème
avec les mensonges, c’était qu’il fallait sans arrêt en inventer d’autres pour
dissimuler les précédents. Parfois, on devait même incarner ce mensonge pour ne
pas se faire démasquer ». Sa femme n’est pas dupe, le menace même
parfois avec une arme à feu, notamment ce jour où il est en train de batifoler
dans une bagnole avec une jeune fille. Les jeunes filles, le péché d’une vie.
HARRISON a connu la dèche, il ne l’oublie
pas, tout comme il n’oublie pas les scénarios écrits sur commande, qui ne sont
pas toujours très bons, mais qui lui donnent l’argent nécessaire à une vie
confortable, l’aspect alimentaire de son métier. L’épisode de l’œil qu’il va
perdre revient sur le tapis : devenu borgne par un simple tesson de verre,
la divine bouteille s’installe décidément partout dans son parcours. Un scoop
cependant : HARRISON ne s’autorisait jamais à picoler lorsqu’il écrivait,
il souhaitait maîtriser son art de manière lucide. Il se lâchait ensuite, dans
les bars notamment. La fameuse troisième mi-temps.
Jim a beaucoup voyagé, mais il garde au
fond de son cœur une tendresse particulière pour la France, même s’il ne
comprend pas bien comment cet engouement, vendre autant (plus qu’aux
Etats-Unis !) dans ce pays. L’auteur sait se faire très touchant,
émouvant, mais toujours avec cette drôlerie dans son écriture, sachant rendre
certaines situations grotesques ou absurdes.
Dans ce récit, HARRISON se fait vrai, sans
fioritures, il prouve, s’il en était encore besoin, qu’il est un grand conteur
plein de défauts, défauts qu’il assume jusqu’au bout. Il voit la mort se
profiler et ne sait pas trop quoi en penser. Ironie de l’histoire : ce
bouquin sortira en 2016, année même du décès de Jim HARRISON à 79 ans au terme
d’une vie bien remplie. Il est d’une beauté certaine et permet de mieux cerner
l’un des plus célèbres auteurs de grands espaces du XXe siècle.
(Warren
Bismuth)
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