Singulier tout petit bouquin à lire entre
deux grignotages pour détendre l’atmosphère. Pas plus de 70 pages petit format,
dont seize photographies couleur et pleine page, toutes commentées, des photos
vintage comme l’on peut s’en douter par avance avec ce terme désuet de « polaroïd »
dans le titre. Chaque photo représente l’auteur jeune voire très jeune à une période
de sa vie. C’est par des photos d’apparence banales qu’il va se dévoiler, par
ces extraits pris sur le vif, ces instantanés synonymes de postérité.
Une photo, un commentaire. Que voit-on sur
la photo ? Quelles étaient les pensées de l’auteur au moment même où elle
a été prise. Chaque photographie est en couleurs passées, avec ce grain qui
fleure bon les 70’s, photos un brin pisseuses, du travail d’amateur : pas
cadrées, ne recherchant pas l’art ni la performance, juste l’instant présent.
Mais dans ces photos, LEVIN y voit autre chose, le sexe notamment. LEVIN a très
vite compris qu’il était homosexuel. Il a vibré pour bien des hommes : des
adultes lorsqu’il était encore enfant. Oui, le père c’est certes autre chose,
ce n’est pas le même respect. Et puis le judaïsme. LEVIN est juif. Il a
d’ailleurs vécu une partie de son adolescence en Israël (il est né en Afrique
du sud), certains des clichés choisis en ces pages sont tirés de cette période.
Dans ce court récit de vie, nous allons,
par le biais d’un appareil photo, croiser un enfant, toujours le même, jusqu’à
son adolescence. Pour l’aspect écriture, on va surtout croiser des bites :
dures, turgescentes, gonflées de désir, on flirte avec le « carré
blanc » des années 70 qui aurait peut-être eu sa place, non sur les
photos, mais au bas des textes. On caresse, on bande, on suce, on gicle. Accessoirement
on aime. L’auteur s’appelle lui-même le Garçon, il aimerait pourtant se voir en
Fille. Il voit ses seins grossir, il éveille ses souvenirs érotiques en
observant ses photos de famille : « La dernière fois qu’ils se
rencontreront, l’homme se mettra devant le Garçon sur ses deux genoux et lui
demandera de le pénétrer. Il exhibera son trou du cul lisse et brun d’homme
plus mûr avant d’enfourcher le sexe du Garçon pour se faire du bien, du bien et
encore du bien ».
Retour vers des éléments révolus, dans une
décennie elle-même révolue et assez marquée par la liberté sexuelle. Le Garçon
tentera de suivre la vague majoritaire, sortira avec des filles, mais il se
réveillera bien vite : il est homosexuel. Point. Une plongée un peu
voyeuriste dans un album de famille où le Garçon s’épanche, fait parler les
photographies, fait partager ses désirs d’alors. On peut s’y sentir dérangés
par notre rôle de voyeur passif sur certaines pensées, même si le temps des
vierges effarouchées est bien loin, mais l’exercice est original et plutôt
intéressant à suivre : comment disséquer une photo et faire en sorte
qu’après une explication de texte elle devienne comme rincée, essorée, expurgée
de tous ses secrets, même ceux auxquels on n’aurait pas pensé, et finisse par
représenter tout autre chose. Paru en 2017 aux excellentes éditions Signes et
balises, ce petit bouquin nous rappelle à toutes fins utiles qu’une photo se
démembre, pouvant faire apparaître après plusieurs visionnages une couche
inexplorée, un secret, une confession.
(Warren
Bismuth)
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