Exaspérée par la routine du quotidien, Anouk, double de l’autrice, part à l’aventure se réfugier quelques jours loin de toute civilisation dans une cabane en plein hiver canadien. Or, au Canada, cette saison est particulièrement rigoureuse. Le défi est de taille, mais Anouk a besoin de retrouver certains automatismes de survie, renouer avec le vital, le nécessaire et se fondre discrètement dans une nature majestueuse.
Bois de Kamoursaka au Canada, non loin du fleuve Saint-Laurent. Cette femme, seule au monde, redécouvre le primitivisme. Enfin, seule, pas tout à fait. Son chat est du voyage, il saura lui tenir chaud. L’herbe qui fait ricaner est aussi de la partie pour les moments de détente. Le livre s’engage immédiatement comme une version moderne de l’aventure de Henry David THOREAU dans sa cabane de Walden. De plus, la voiture qui a propulsé Anouk sur ces terres hostiles tombe en panne dès l’arrivée, ce pourrait bien être un signe du destin.
Réflexions sur la vie, le féminisme, Anouk prend le temps, tout en coupant du bois, de faire le bilan, alors que le manque d’amour, de contact physique, de caresses, commence cruellement à se faire sentir, tout comme la présence des coyotes, toujours aux aguets. La peur s’installe, début de panique. Anouk est-elle prête pour ce genre d’aventure en solitaire ?
Parallèlement elle tient un petit journal ici présenté entre les chapitres, journal truffé d’humour, noir bien souvent. Il est le seul compagnon en plus du chat. Il est aussi un exutoire, une profession de foi, une revendication. « Merci aux gens qui écrivent les manuels scolaires de s’obstiner à nous enseigner qui a découvert l’Amérique. Vous voulez vous attaquer au décrochage, alors arrêtez d’insulter notre intelligence ».
Le froid, toujours plus présent, toujours plus intense. Les doutes, les réflexions sur la vie, les envies, les besoins : « Et si la vraie solution, c’était d’enterrer la hache de guerre ? De créer des îlots de liberté révolutionnaires ? Car les géants, on ne peut les battre sur leur échiquier, ils nous y tendent des pièges, les dés de la justice sont truqués, et nos fosses, creusées d’avance. Mais ils ne peuvent pas prévoir, c’est la force de la solidarité. Miser sur l’effet de surprise. Infiltrer le système comme la fourmi remontant le nerf optique du prédateur avant qu’il ne détruise la fourmilière ».
Et un beau jour, un inconnu. Coups sur la porte, l’homme se présente, il est en fuite car recherché par les autorités pour sabotage… Ici, le récit bascule dans une sorte de portrait à la Edward ABBEY, l’écrivain éco-warrior Etats-Unien auteur de tant de petits chefs d’œuvre. En effet, le fugitif est proche des idéaux et des actions du ABBEY du « Gang de la clé à molette » et autre « Feu sur la montagne ». Dès lors, pour Anouk il ne suffit plus de seulement théoriser puisqu’elle héberge un saboteur.
D’après sa propre expérience dans les bois de Kamoursaka, Christelle FILTEAU-CHIBA livre un magnifique récit mi-témoignage mi-roman, toujours au cœur de la nature en colère. L’exercice était périlleux car le sujet a déjà beaucoup été traité dans la littérature. Mais l’autrice s’en sort avec les honneurs, aucune mollesse, aucune déconcentration dans ce texte sonnant comme de l’excellent Nature writing en complément d’un engagement total. Le plaisir est démultiplié par ces expressions québécoises regroupées en glossaire en fin d’ouvrage. Réussite totale pour ce premier roman sorti en 2021 chez Le Mot et le Reste, à savourer au bord de l’eau, grand millésime !
(Warren Bismuth)
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