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mercredi 23 juin 2021

Wallace STEGNER « Le goût sucré des pommes sauvages »

 


Wallace STEGNER (1909-1993) est l’une des figures majeures et en même temps l’un des pionniers de la littérature Etats-unienne du « Nature writing ». Mais il serait maladroit de le limiter à cette forme d’écriture, les cinq nouvelles de ce recueil en sont la preuve.

Dans ces nouvelles de longueurs et atmosphère très diverses, nous allons faire connaissance avec un couple âgé qui sent le poids du temps qui passe en se promenant dans la campagne dans la très brève nouvelle donnant le titre au recueil. Le même sentiment survient dans la tête d’un homme entre deux âges qui revient sur les paysages de son enfance dans la courte nouvelle « Jeune fille en sa tour ».

Changement d’ambiance avec la longue et cynique nouvelle « Guide pratique des oiseaux de l’Ouest » où, lors d’une ennuyeuse soirée pince-fesses, la maîtresse de maison cherche à faire briller en société un pianiste qui tape sur les nerfs du narrateur ornithologue. Jim HARRISON vénérait STEGNER. Dans ce texte, la similitude entre les deux écrivains saute aux yeux : l’humour décalé de STEGNER, ce début de récit avec de majestueuses et puissantes descriptions de la nature et des oiseaux, ces personnages un brin beaufs mais souhaitant être mis en valeur, ces situations burlesques et embarrassantes, les digressions, etc. Le format est par ailleurs proche des novellas chères à HARRISON. Petit bijou à découvrir. Je ne m’attarderai pas sur la nouvelle sans aspérités « Fausses perles pêchées dans la fosse Mindanao », sans trop d’intérêt.

La dernière nouvelle, je devrais plutôt écrire court roman puisqu’elle représente près de la moitié du recueil, est sans nul doute la plus forte. Nouveau changement de décor avec « Genèse », où un jeune anglais du début du XXe siècle souhaite devenir cow-boy au Canada. Ici s’ouvrent de fabuleuses pages de « Nature writing », ambiance western très identifiée, avec des personnages rudes, batailleurs mais humains, superbement décrits, puissants et déterminés malgré un froid glacial qui pourrait bien les empêcher de continuer leur route. « Ils vont te parler de tout ce boulot de marquages, de servages, de castrations, de journées entières le cul en selle à pourchasser les bêtes par monts et par vaux. Mais à quoi veux-tu qu’un cow-boy passe son temps ? Quand il a rien à faire, il joue aux cartes, il se bagarre, il court la gueuse et c’est les ennuis assurés. Il vaut bien mieux pour lui de se retrouver sous une gentille tente comme celle-ci, à camper bien gentiment au milieu du blizzard ».

La nature, hostile, est impitoyable et d’une grande force. Ici, on pense bien sûr au Larry MCMURTRY de « Lonesome dove » par exemple. Et ce n’est pas un hasard : MCMURTRY et Edward ABBEY entre autres furent les élèves du prof de littérature Wallace STEGNER, c’est lui qui leur a en partie inculqué leur maîtrise. Ce texte est un pur ravissement, et le recueil un aperçu très pertinent des mondes de Wallace STEGNER, qu’il serait sans doute judicieux de continuer à explorer tant ce recueil donne un succulent goût sucré. Pas mal de phrases frappent au cœur : « Je ne vois pas comment l’on peut rester en bonne santé si l’on exprime pas ses sentiments ».

Ces nouvelles sont sorties à différentes périodes de la vie de l’auteur, elles furent regroupées en recueil en France tout d’abord chez Phébus, mais c’est ici l’édition poche de Totem des éditions Gallmeister parue en 2019 qui est privilégiée, avec une petite postface de l’auteur rédigée peu d’années avant sa mort. Un recueil en harmonie totale avec la météo, pour chevaucher au cœur des grands espaces.

https://www.gallmeister.fr/

(Warren Bismuth)

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