Une commandante, elle-même fille de commandant, a repris du service depuis peu et dirige à nouveau un cargo traversant l’Atlantique quand, au milieu de nulle part, ou plutôt du côté des Açores, loin de toute terre, l’équipage se paie une baignade improvisée. Long travelling sur les visages flottants, les corps invisibles, les vagues majestueuses. La commandante ne participe pas à la liesse générale et observe du cargo ces vingt corps immergés. Seulement, au retour de ce moment de détente, lorsqu’ils remontent, ils ne sont plus vingt mais vingt et un ! Il est plus qu’envisageable qu’un homme s’est embarqué clandestinement sur le bateau lors de son appareillage.
« Elle est fille de commandant, et jamais il n’a été question d’une vie terrestre, dès le départ elle en a trop appris sur les bateaux pour se détourner de la mer. Elle appartient à l’eau comme d’autres ont la fierté d’origines lointaines. Il n’y a jamais eu lieu de rompre, de rejeter. Elle a fait le choix des bricolages antiques et des machines modernes, des chiffres et des sensations, des abstractions cosmiques et du soleil au visage. Ce qui lui a donné un âge, une densité ».
Soudainement, le cargo semble prendre comme de manière irrationnelle et surnaturelle son indépendance, se muant en vaisseau fantôme en perdition que l’équipage ne peut plus contrôler : l’oppression après le réconfort. Si l’équipage allait payer cet instant d’égarement ? Lorsque le cargo tombe en panne…
Puis il y a les échanges, les souvenirs, les vieilles anecdotes : « Cette histoire d’équipage ligué d’un coup contre sa hiérarchie, bien décidé à ne pas atteindre le port prévu, à mettre en scène un faux naufrage pour s’échapper tranquillement sur un autre continent avec une partie de la cargaison ». Et l’occasion pour la commandante de se remémorer son propre parcours.
Dans ce roman qui vient de sortir chez Quidam éditeur, Mariette NAVARRO livre une épopée maritime, pesant chaque mot pour un rendu poétique et rugueux par l’ambiance. Plusieurs sujets sont ici évoqués : les migrants, le quotidien sur un bateau dans une sorte de huis clos à l’air libre, mais aussi la réalité du dérèglement climatique ou même en filigrane le féminisme. Le livre est bref, finement rédigé, sans jamais tomber dans une surenchère de termes techniques, pourtant attrayants dans ce type de sujet. Jamais elle ne perd sa boussole, garde le cap en déroulant lentement son intrigue sans choisir la facilité. Elle observe comme derrière une caméra, réajuste ses décors et ses personnages.
L’autrice joue avec les antagonismes : le moment de la trêve figuré par la baignade collective, avec celui du cargo devenu indomptable. La joie de se dérouiller les articulations avec la souffrance de la vie du marin. Le temps qui semble s’être arrêté pour cet équipage, et l’avancée inexorable des perturbations climatiques à long terme. L’homme, le marin, bourru dans son professionnalisme chronométré et répétitif, et l’arrivée intempestive d’un clandestin.
Mariette NAVARRO vous avait déjà été présentés ici avant son très beau « Alors Carcasse » paru en 2011 chez Cheyne éditeur, dans la flamboyante collection Grands fonds dont l’autrice est d’ailleurs aujourd’hui la codirectrice avec Emmanuel ECHIVARD. « Ultramarins » en est une sorte de continuité habile, avec ses bizarreries non résolues, cette liberté empêchée, cadenassée, dans une écriture intimiste et précise, finement tissée. Court roman à découvrir dans la collection made in Europe de chez Quidam.
https://www.quidamediteur.com/
(Warren Bismuth)
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