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dimanche 17 mai 2020

Mariette NAVARRO « Alors Carcasse »

Carcasse, c’est ce type qui se tient sur son palier, juste devant la porte, les pieds rivés au sol. Il rappelle les Culbuto de notre enfance, ces figurines de jeu au socle lourd, qui ne pouvaient de fait se déplacer, ne se mouvoir que d’avant en arrière à partir du bassin, ou sur le côté. Dès la première phrase, nous sentons bien que cette immobilité ne date pas d’hier, puisque nous prenons la vie de Carcasse en cours : « Plusieurs aussi sont là, au beau milieu de leur époque, mais Carcasse particulièrement est au seuil ». Carcasse déploie de grands efforts pour avancer, rien n’y fait. Alors il souhaite se propulser en hauteur, mais le plafond l’en empêche, il ne peut se grandir un peu plus. Il pourrait se recroqueviller sur lui-même, pourquoi pas, mais il se rétrécirait comme il rétrécirait sa propre estime.

 

Alors Carcasse reste figé là, devant cette porte, et le pire est qu’il y paraît heureux. Il observe le monde autour de lui, les « Plusieurs autour » qui entament certains paragraphes de ce petit roman poétique et sensoriel. Carcasse accomplit un voyage intérieur, au cœur de lui-même, étranger au monde qui l’entoure, un voyage de l’esprit dans une totale immobilité, avec ses pieds scellés au sol. Voyage sensitif durant lequel Carcasse s’agite sans bouger, comme absent de son corps. Et les « Plusieurs autour » qui en viennent à le regarder drôlement, de plus en plus ostensiblement.

 

« Alors Carcasse » est une œuvre tout en finesse contre les préjugés sur la différence. Le personnage de Carcasse peut rappeler fortement certaines figures de Samuel BECKETT par sa description, ceux qui attendent on ne sait quoi, qui stagnent, qui restent dans une pièce, voire sur un lit. « C’est qu’il faudrait maintenant beaucoup de force, pour faire descendre Carcasse du sommet de ses pieds ».

 

Carcasse est ce colosse aux pieds d’argile qui « efface ses propres traces avant de les avoir laissées ». Ce roman est aussi un conte, un peu onirique, au style très choyé, petit bijou distillant l’humour. Carcasse est ce personnage qui ne parle pas, ne bouge pas (du moins pas à partir du bas de son bassin), mais qui sait paraître tendre et attachant. « Alors Carcasse » est sorti dans la magnifique collection Grands Fonds de chez Cheyne éditeur en 2011, il vous séduira par sa tendresse et sa sensibilité autant que par son absurdité poétique.

 

https://www.cheyne-editeur.com/

 

(Warren Bismuth)


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