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mercredi 2 août 2023

Jaroslav HAŠEK : Trilogie du brave soldat Švejk

 


Ivrogne, irrévérencieux, anarchiste, Jaroslav HAŠEK a créé l’un de ces monuments de la littérature qui traversent les âges, le brave soldat Švejk. Né en 1883 à Prague, HAŠEK imagine son héros dès 1911 mais le développe vers 1920, à son retour de soldat de la première guerre mondiale.

Švejk est pour le moins un personnage atypique : prédisant une guerre mondiale suite à l’assassinat de l’empereur d’Autriche François-Ferdinand à Sarajevo en 1914, il est arrêté puis emprisonné, avant de participer (d’assister serait plus juste) à cette guerre. C’est le début d’une longue série, au propre comme au figuré. Švejk était censé durer longtemps, en une saga développée sur de nombreux tomes. Seuls trois d’entre eux seront terminés. Mais Švejk c’est aussi une série de gags, sans fin elle aussi, de la première à la dernière page de cette trilogie, soit tout de même 1000 pages durant lesquelles Švejk ne va cesser de faire le pitre, désobéissant aux ordres, se glissant dans des affaires sans queue ni tête avec ce don imparable de conter sans limites des anecdotes ou faits divers.

Švejk évolue à côté de la guerre, il est peu sur le front, souvent perdu dans un village, près d’un débit de boissons, s’enivrant et provoquant toutes sortes de drames joyeux. L’univers de cette trilogie est théâtral, abusif, burlesque, grotesque, caricatural de bout en bout. On rit énormément, même si forcément après tant de pages le récit tend à tourner en rond. Il n’est pas souhaitable d’enchaîner les trois tomes à la suite, ils pourraient rapidement devenir indigestes. Mais par petites touches de lecture, l’ennui se s’empare pas du lectorat.

Récits picaresques, outranciers, francs et honnêtes. Švejk est sans doute le double de HAŠEK : antimilitariste, anarchiste, fouteur de merde, provoquant parfois à son corps défendant des rafales de catastrophes. En fond, la première guerre mondiale, les batailles, les morts, les défaites, les erreurs militaires stratégiques. Si HAŠEK ne se concentre jamais sur le terrain, la folie humaine est pourtant bien là, derrière, en décor. Son Švejk cherche d’ailleurs à passer pour un idiot afin de ne pas être enrôlé dans cette boucherie. Fait prisonnier plusieurs fois, il s’arrange toujours pour ne pas participer aux combats. Car cette trilogie est d’abord un long texte antimilitariste, contre les armes, la guerre, la violence, n’épargnant ni les gradés ni les simples soldats.

HAŠEK fait aussi parfois leur fête aux religieux dans un anticléricalisme point méchant, mais bien senti. Švejk est une sorte de personnage de GOGOL en roue libre et en version anarchiste, raisonnant par l’absurde, toujours en mouvement, parlant fort et recherchant une certaine liberté alors que HAŠEK en profite pour brocarder à maintes reprises la hiérarchie en une saga sans cesse en mouvement (on va d’ailleurs visiter une partie de l’Europe de l’est !), dans une action imaginée comme dans une bande vidéo passée en accéléré.

L’espace temps est rarement un repère car HAŠEK ne s’embarrasse pas avec les dates, la guerre est un tout, un bloc de haine, et les détails du calendrier comptent peu pour l’auteur. Son héros est partout à la fois, se débat contre la bêtise humaine sans jamais faire grâce d’une anecdote souvent décalée. Série jubilatoire, elle fut interrompue par la mort de HAŠEK en 1924, alors qu’il rédigeait le tome 4, les trois premiers étant parus entre 1921 et 1923. Aurait-elle pu connaître une vraie fin ? Rien n’est moins sûr, tant l’action part dans tous les sens. Un tome 4 verra pourtant le jour sous la plume de Karel VANĔK, ami de HAŠEK. Il semble n’avoir jamais été traduit en français.

Le brave soldat Švejk eut son heure de gloire en Europe, accompagné des dessins caricaturaux de Josef LADA. Mais cette trilogie fut pour le moins maltraitée, du moins en France, jusqu’à frôler l’indécence. La médiocre première traduction fit office de traduction officielle durant très longtemps. Pourtant, et ce n’est qu’un exemple, elle ampute le récit de sa première phrase, celle qui met le feu aux poudres et explique le reste : « Et voilà, ils nous ont tué Ferdinand ». En outre cette trilogie ne fut jamais regroupée en un volume unique. Mieux : les traductions proposées ne le sont pas de la plume de la même personne. Pour les versions actuellement disponibles en poche par exemple (notez en passant les différences notoires sur le patronyme du héros !), le tome 1 intitulé « Les aventures du brave soldat Švejk » est traduit par Benoît MEUNIER alors que les tomes 2 et 3, « Nouvelles aventures du brave soldat Chvéïk » et « Dernière aventures du brave soldat Chvéïk » le sont par Claudia ANCELOT, c’est dire le peu de sérieux suscité par l’œuvre. Pour les illustrations de Josef LADA, pourtant formant un tout avec l’histoire, elles n’apparaissent qu’au sein du premier volume. Rien ne sera épargné à cette oeuvre.

Jaroslav HAŠEK, né à Prague comme Franz KAFKA, fut son exact contemporain : né en 1883 (KAFKA en 1884), il décède en 1923 (KAFKA disparaît en 1924). Tout semble les opposer. Et pourtant, ces scènes de l’absurde, cette condamnation de la guerre, de la violence, des autoritarismes les rapprochent. Les tons sont aux antipodes, pourtant les fonds ne sont pas si éloignés. Cette région d’Europe a vu naître tant d’écrivains d’envergure : Karel ČAPEK, Stefan ZWEIG, Joseph ROTH, Robert MUSIL et d’autres.

La présente chronique s’inscrit dans la commémoration du centième anniversaire du décès de Jaroslav HAŠEK qui, comme vous l’avez peut-être constaté, fut inexistante en France. HAŠEK semble avoir été totalement oublié, ses œuvres rééditées sans aucune cohérence. Pourtant son soldat Švejk (ou Chvéïk) prend une place particulière et non négligeable dans la littérature.

 (Warren Bismuth)

1 commentaire:

  1. Je n'avais pas vu que c'était le centenaire de la mort de Jaroslav Hasek, merci de l'avoir souligné et d'avoir mentionné ces aspects de traduction. Curieusement, bien que je lise régulièrement la littérature tchèque, je n'ai pas encore franchi le pas de lire cette trilogie.

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